Plus de cent ans, il a fallu un siècle pour arriver à la version ultime désirée par Abel Gance. C’est en 1921 que naît le projet. Le but est de faire l’équivalent de Naissance d'une nation en France, une épopée sur la figure emblématique de l’histoire : Napoléon Bonaparte. C’est le souhait de l’auteur qui s’est déjà fait un nom avec des films notoires : J’accuse (1919), La roue (1923).
Lancé dans ce défi, ses intentions sont démesurées : il veut transformer son projet en une saga cinématographique en huit épisodes qui retrace toute la carrière de l’empereur, de sa formation militaire à son dernier souffle.
Il revient très vite sur terre après avoir découvert le cout financier que ça demande. Il se contente d’un seul film. Il prévoit de se charger des suites plus tard, mais son rêve fou ne verra jamais le jour. Ses idées de suites s’éparpillent dans le monde.
En 1925, après la distribution des rôles, les discussions avec les producteurs, le tournage peut enfin commencer. Au cours du procédé, le film rencontre des problèmes techniques et budgétaires, des conflits entre le cinéaste et le producteur. Le résultat n’est pas ce qu’avait imaginé Abel Gance, ne parvenant pas à aller au bout. Le film inabouti sort dans les grandes salles de France et à l’étranger en 1927. Acclamé pour son aspect technique et ses innovations comme la vue paronymique et le triple écran et une mise en scène originale : des travelings, la caméra accrochée à un cheval, du mouvement comme la scène de la fête. Une œuvre à l’avance de son temps, mais qui tombe dans l'ombre des vagues de films qui introduisent le parlant.
Abel Gance retournera sur l’histoire du général à deux reprises. En 1935 avec Napoléon Bonaparte et en 1960, qui traite une des victoires militaires les plus prestigieuses de la France : Austerlitz.
Quant au premier film inachevé, l’espoir de voir la version complète s’efface d’années en années. De la décennie de la Grande dépression à nos jours, Napoléon connait des vingtaines de versions différentes, des restaurations sans limites. Le plus connu est celui sorti en DVD et Blu-ray en 2016 qui dure 5h30.
En 2007, le film perdu refait surface. L’historien Goerges Mourier et de grandes entreprises du cinéma cherchent toutes les copies possibles du film dans le monde. Un nouveau montage se réalise pour avoir la version ultime qu’avait en tête Abel Gance, une durée qui dépasse l’entièreté de la carrière de Quentin Dupieux . Un travail colossal de plus de 16 ans. Le film se projette à Cannes, à la Seine musicale, à la Cinémathèque Française et dans d’autres salles pour le reste de l’été.
Cette nouvelle version présente plusieurs parties de l’histoire de Napoléon de sa jeunesse, passant par la Révolution, son retour à son pays natal, sa bataille importante contre les anglais, sa rencontre avec son amour Joséphine et pour finir sa campagne en Italie.
Tout ça assemblé dans un seul film, le travail a payé. Cette durée exorbitante qui passe comme quand on retire le bouchon d’un champagne lors d’une fête de fin d’année. Un chef-d'œuvre qui provoque toutes les émotions, un récit épique rempli d’actions, de romance, des scènes comiques inattendues qui marchent à merveille et des scènes émouvantes.
On suit l’évolution extraordinaire de Napoléon, du gamin martyrisé à l’école à un grand chef de guerre. Interprété à l’excellence par Albert Dieudonné, qui à la base n’était pas le premier choix. Pas de hasard, il a déjà joué ce rôle dans un théâtre avant. On dit que c’est l’incarnation du génie tacticien redouté par tous les dirigeants du monde pour sa prestance et son charisme. La séquence du discours pour donner de la pêche a ses soldats avant de commencer son entrée en Italie est puissante et donne des frissons. Sans voix, car c’est en muet, accompagné d’une musique grandiose.
Un spectacle qui doit uniquement être diffusé sur grand écran, je recommande à tous d’en profiter.
Les hommes meurent, mais par leurs idées.