"Mettre à nu ça libère, pouvoir tracer toutes ces courbes, pouvoir célèbrer notre beauté"
Dans le film, un conservateur dit que l'important avec l'art ancien, ce n'est pas de le vénérer bêtement, mais c'est d'en faire quelque chose afin que cette vénération légitime ait un sens. Le film se base grandement sur cette citation, puisque pendant trois heures on explore en silence le musée, observant certes les tableaux, mais surtout les gens qui les observent, qui s'en occupent et aussi les espaces qui les protègent.
Wiseman arrive à créer des images formidables en juxtaposant la réaction du visiteur avec le tableau, que ce soit un sourire ou un bâillement. Les sourires volés lors de la découverte d'une toile sont fascinants, tout comme les cadres choisis pour capturer les tableaux. Je retiens surtout la réaction émerveillée d'une petite fille en train d'admirer une toile décrite par un guide. Et enfin les plans sur les couloirs vide, peuplés par les tableaux et hantés par les balayeurs à l'image de la première image du film, confèrent aussi au film une portée humaine, transcendant le simple sujet sur la peinture pour atteindre vraiment un film sur l'essence d'un tel lieu.
Mais de peinture il est aussi et surtout question. Que ce soit pendant les merveilleuses séquences de dessin de nu, avec une prof de dessin qui lâche quelques phrases du fond du cœur, en essayant de mettre des mots sur la sensation de peindre un corps, dans toute sa nudité, ou encore lors d'une discussion entre conservateurs à propos de tel ou tel tableau, tout est criant de vérité. La restauration des œuvres est d'ailleurs un sujet extrêmement bien traité, avec les conservateurs expliquant leur travail, se faisant parfois même des reproches. Ces scènes sont vraiment passionnantes, et la volonté de rester dans la sobriété y est pour beaucoup. Wiseman met également en avant le travail des petites gens, de l'homme fabriquant un cadre en faisant voler les copeaux de bois ou encore de ceux qui doivent mettre en place les spots pour mettre en valeur les tableaux.
Il y a aussi un peu d'ironie dans le film, que ce soit dans les visages de certaines personnes en train de bailler devant une toile comme devant BFM TV, mais aussi en relevant les contradictions au sein du discours des conservateurs, qui essaient de se faire de la pub à travers ce film en se plaçant comme fiers défenseurs du patrimoine, refusant toute publicité, même d’œuvres de charité. Pour finalement coller une affiche immense de Green Peace en plein sur la façade du musée... Et puis la question du budget de la culture, qui même si elle n'est que peu évoquée, traverse tout le film. Quel prix faut-il mettre pour ce patrimoine?
Bref, c'est très riche, c'est criant de vérité, et toutes les images où les gens n'ont pas joué le jeu de l’authenticité sont détruites. L'appropriation d'un tel patrimoine parvient à s'imposer comme le sujet central du film. Un pur documentaire.
Dommage seulement que l'on sente parfois qu'il s'agit d'une sélection de 3heures sur plus de 100 heures de rushs, et que Wiseman a parfois tendance à laisser quelques passages un peu inutiles, clairement un cran en dessous des pures scènes de vérité qui peuplent le film. Mais j'imagine qu'il fallait au moins trois heures, pour recréer entièrement l'ambiance d'un tel lieu.
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