Dès sa seconde réalisation, Le Château de Cagliostro n’était qu’un banal film de commande, Miyazaki posait les bases de son univers propre… et le monde entier de s’émerveiller ! Dans un cadre post-apocalyptique, les habitants de la Vallée du vent tentent de survivre, pris en étau entre les exigences de leurs belliqueux voisins et l’avancée du fukai, une forêt toxique. Elle abrite des myriades d’insectes, dont les colossaux et royaux ômus qui, à la moindre agression, chargent et détruisent tout sur leur passage. Jadis, lors des "sept jours de feu“, des dieux-guerriers géants, créatures nées de l’hubris humain, ont manqué de détruire le monde. Après avoir découvert une larve de ces titans, une expédition tolmèque s’écrase dans la Vallée. La cargaison attire les convoitises de Pejite.
Comme à son habitude, Miyazaki confie les rôles principaux à de jeunes adultes, trop vite confrontés au tragique de l’existence et aux inconséquences de leurs aînés. Nausicaä est la princesse héritière de la vallée. Son royal père tué, elle incarne l’espoir de son peuple. Si elle est capable de se défendre, elle répugne à donner la mort. Vous admirerez la sublime beauté de la flore et de la faune. La longue séquence contemplative sous le fukai est d’une grâce infinie et d’une créativité admirable. Les évolutions de l’aile Maeve de Nausicaä et le vol lent et majestueux des courtilières-reptiles sont d’une absolue perfection, soulignée par une bande son d’une rare inspiration. Révolutionnaire dans la production japonaise de son temps est l’attention portés aux détails. L’habitat, le mobilier, les tenues, les armes, le harnachement des oiseaux-chevaux valent ceux des productions Disney. Par contre, la violence est assumée, on meurt, brûle, détruit, terrifie.
Oserai-je, pourtant émettre quelques réserves. Le dessin est perfectible, les vaisseaux aériens sont statiques et quelques images répétitives. La faute incombe aux restrictions budgétaires. Le succès de Nausicaä permettra à son créateur de fonder les studios Ghibli, dont les succès croissants lui permettront de s’affranchir de ces basses contingences matérielles. Comme pour nombre de dessins animés adaptés de mangas fleuves, le scénario est d’un abord difficile pour les imprudents qui n’auraient pas lu l’épopée. Pis, Miyazaki s’attarde sur ses paysages, ses machines volantes et ses insectes, au détriment de ses personnages. Guerriers et villageois sont réduits à des stéréotypes. Les seconds rôles gagneraient à être travaillés. Maitre Yupa, le sage et bondissant mentor de Nausicaa, un émule de Yoda, est trop tôt sacrifié. Le prince Asbel de Pejite, jeune et valeureux pilote de chasse, est sous-exploité. Reste les adversaires. Roturier complexé, Kurotowa m’intéresse par son ambiguïté et son indolence, il trahirait, si seulement sa princesse disparaissait. Kushana enfin, quelle femme ! Charismatique et impitoyable, elle saisira sa chance après avoir, un instant, hésité entre la voix du sang et celle de la négociation.
Le cinéma de Miyazaki réfute toute forme de manichéisme. S’ils diffèrent par les moyens, bellicistes pour les Pejites, sournois pour les Tolmèques, tous s’efforcent de ranimer le dieu-guerrier pour détruire la forêt, quitte à sacrifier les importuns. La peur est mauvaise conseillère. Tous estiment agir pour le bien de l’humanité : la fin justifiant les moyens. Tous, sauf Nausicaä. Elle seule saura écouter, ressentir et comprendre que le fukai n’est pas un ennemi. Le message panthéiste est clair : l’homme détruit la Nature, qui lui apporte la Vie… Seules la compassion et l’empathie sauveront, peut-être, le monde. Ce n’est pas gagné.
2020