Le premier film réalisé par la comédienne Juliet Berto jouit d'une belle cote de sympathie auprès des initiés, et connaîtra d'ailleurs un joli succès en salles - proportionnellement à son budget relativement modeste et à son absence de véritable tête d'affiche.
Cette aura me semble en grande partie justifiée, tant le projet apparaît audacieux et méritoire : montrer une France "autre", peuplée de noirs, d'arabes, de pauvres, de drogués, de travestis... Même en 1981, après une bonne décennie de libération des mœurs et d'ouverture des esprits, la démarche reste singulière et courageuse.
A travers cette chronique du quartier de Pigalle, Juliet Berto et son compagnon Jean-Henri Roger montrent une réalité qu'ils connaissent bien, promenant leur caméra sur le boulevard de Clichy au milieu de véritables habitants du quartier (en guise de figurants), ce qui confère à "Neige" une sincérité et une authenticité primordiales.
L'interprétation se révèle globalement à la hauteur, à commencer par un trio de héros atypiques : Juliet Berto incarne une barmaid au grand cœur, Jean-François Stévenin un gentil repris de justice, tandis que l'antillais Robert Liensol campe un pasteur des rues anticonformiste.
Parmi les nombreux seconds rôles, on soulignera les belles prestations de Jean-François Balmer et Patrick Chesnais en flicards sans scrupules, du vétéran Raymond Bussières en vieux projectionniste, ou encore de Nini Crépon en travesti.
En revanche, on relève de vrais problèmes au niveau du récit : narration confuse, rythme hésitant, scénario un brin décousu...
La psychologie des personnages pose également question : pourquoi cette soudaine obsession à fournir Betty en héroïne, en dépit des immenses risques encourus? Pourquoi elle en particulier, alors que Betty et Anita se connaissent à peine, et que les drogués en manque pullulent dans le quartier? Et d'ailleurs est-ce une si bonne solution que de la ravitailler?
Admettons que la rigueur scénaristique et psychologique puisse apparaître secondaire dans ce type de chronique "atmosphérique"... (mais ces problèmes resurgiront de manière flagrante dans "Cap Canaille", le second film du duo Berto-Roger, un échec total).
En attendant, "Neige" reste une œuvre recommandable, teintée de polar et de mélodrame : une ode naïve et poignante au Paris populaire et bigarré (Pigalle, Barbès, La Goutte d'Or), hélas ravagé par le fléau de l'héroïne.