Une étrange impression se dégage du visionnement de « News From Home ». Celle-ci est autant forcée qu’inexprimable, et n’est d’ailleurs pas sans plonger le spectateur au sein de certains doutes, le laissant se sentir comme dépersonnifié face à ce film sans personne. Chantal Akerman, suite à la sortie de « Jeanne Dielman » en 1976, part travailler à New-York et nous lit en voix-off, sur l’ensemble du film, les lettres que lui envoie sa mère, restée en Belgique. À l’image paraissent les rues new-yorkaises, immenses, où les vies des habitants sont constatées dans leurs aspects les plus simples : ils prennent le métro, regardent la caméra, traverse sans regarder. Cependant, contrairement aux apparences, « News From Home » n’est ni une ode à New-York ni une fable anthropologique (il peut toujours s’interpréter ainsi, mais cela ne semble pas être son intention). Chantal Akerman semble davantage se focaliser sur une l’illustration d’un détachement, comme si New-York était une plateforme absorbée par la solitude, un symbole de son éloignement d’un environnement familier oppressant, un gout de libération.
On le ressent d’emblée lorsque ces lectures de la réalisatrice, en voix-off, se retrouvent saturées par les mouvements urbains. Elles se réservent à des bruits sourds, à d’opaques bruits de fond. Le résultat prend alors des allures de film figé, non sans évoquer certaines tutelles. Par exemple, se retrouvent souvent à l’image des métros, circulant à l’infini dans de sombres tunnels, ce qui n’est pas sans évoquer les premières œuvres d’une des principales figures de l’art contemporains new-yorkais, à savoir Mark Rothko, lequel peignait au début de sa carrière des personnages figés dans des stations aux atmosphères vidées par la pression urbaines. On a comme l’impression qu’Akerman cherche, à l’instar de ces personnages, à remplir un vide, à se localiser, profitant de sa démarche pour suspendre son regard. Nous disions plus haut que le film déclenchait en son spectateur une impression autant forcée qu’inexprimable, mais à quoi est-elle due ? Parmi toutes les pistes que nous pourrions prendre en compte, il y a évidemment celle de l’étirement : les lettres qu’Akerman nous lit sont de plus en plus longues et plaintives ; les plans, au début fixes, finissent par se laisser embarquer par le mouvement de la ville, annonçant déjà la hantise du départ. Mais aussi le fait que cette conversation épistolaire est à sens unique : Akerman dévoile les lettres de sa mère, mais tait ses réponses. Sa réponse est, justement, son regard singulier, prenant la mélancolique forme d’un adieu, mise en exergue par un long plan final où la ville, ses bruits, son immensité, se réduisent à une vue monochrome, comme si elle n’avait jamais été autre chose qu’un lieu d’escale.
Film d’essai, film de recherche, manifeste d’une dissidente. « News From Home » est irrémédiablement un film sur la fuite, sur la constante recherche de soi, sur nos constants désirs d’être quelque part. Une mère écrit, une fille filme. Et si on le veut bien, il y a là matière à ne plus regarder par sa fenêtre de la même façon. Mais bon, il y a bien mille et une façon de se laisser aspirer par son environnement, non ?
https://nooooise.wordpress.com/2020/05/10/news-from-home-chantal-akerman-1975-lost-in-subway/