Comment combattre un système toxique et en apparence désespérément indestructible ? Lorsqu'un système finit par s'imposer catégoriquement, rigoureusement et fondamentalement (cf. « synonymes de absolument » dans Google) que ce soit géographiquement, politiquement ou socialement, et que, par extension, ceux qui s'y opposent géographiquement, politiquement et socialement se retrouvent impuissants, sommes-nous alors dans une situation inextricable ?
J'ai du mal à croire aux situations inextricables. Je me dis que les choses sont toujours amenées à changer, pour le pire ou pour le meilleur. Il y a toujours au moins une alternative, c'est obligatoire. Au pire, dans notre société où les systèmes dominants se mondialisent, une toxicité définitive nous conduirait de manière exponentielle vers l'Apocalypse. Et, on aime on aime pas, ça reste une alternative au système toxique en cause.
L'idée donc, c'est de voir s'il y a des alternatives qui permettent de s'en sortir sans laisser le monde s'autodétruire sous le joug du système toxique qui le gouverne.
Le cinéma est bourré de systèmes toxiques. C'est un élément perturbateur très utilisé, le truc qui fait que les personnages ont envie de se battre: l'Empire dans la première trilogie, les machines dans Matrix, la société de consommation dans Okja... dans la plupart de ces films, le système toxique fait preuve d'une résilience à toute épreuve. Dans Okja par exemple, toute la lutte aboutit à un rebond désespérant du système mis à mal, avec notamment ce remplacement de la PDG par sa jumelle. On change les dirigeants quand ça commence à chauffer, mais, en vrai, rien ne change. Tout se renforce: le système, les oppositions, l'impuissance, la bouffe de merde...
Ceci étant dit, que voit-on dans Next Floor ? Une table de convives qui se goinfrent autour de serviteurs efficaces et attentionnés. Les convives forment clairement une société privilégiées et dominantes, avec les coiffures ridiculement travaillées, les uniformes, les regards suffisants... entrecoupés d'images et de sons écœurants mettant en scène tout le gras mastiqué de la nourriture morte. On a de l'antipathie et du dégoût pour ces convives, automatiquement, et nos sentiment se font objectifs lorsqu'une moitié de rhinocéros apparaît sur un plateau. C'est une espèce protégée, objectivement. Et son visage est assez entier pour exprimer la douleur, voir la tristesse. Le doute n'est pas permis, ces convives représentent un système toxique.
Or les convives se détruisent eux-mêmes, dans l'aveuglement et la fuite. Et dans le challenge bien sûr. Et puis dans la compétition aussi. Tout cela est présent dans l'image. La fuite, dans ce long vertige, dans ce long tunnel vertical à travers les étages. Le challenge, dans les regards, et dans le petit bout de bacon qui relance l'orgie qui s'était vite fait mise en stand-by. Et la compétition, dans cette scène, qui peut passer inaperçue, où deux convives se disputent une même cuisse de poulet. Et on pourrait voir encore d'autres travers dans leur manière de se nourrir et de vivre. Dans la poussière qui contamine petit à petit les aliments. Dans la sonde gastrique. Dans ce lustre sans plafond, froid et lumineux, qui poursuit les porcs en chute libre...
C'est leur manière de manger qui nous dégoute d'eux, et en même temps c'est la nourriture qui finira par les vaincre. Et tout cela est orchestré par les serviteurs. Parce qu'ils savent que l'épreuve de force, et la confrontation directe, impulsive, ne détruirait pas complètement le système. Et c'est l'astuce du court-métrage. La société des convives est organisée autour de la nourriture, probablement qu'elle s'impose aux autres à travers la nourriture aussi, et c'est donc par la nourriture qu'elle doit être combattue. De la même manière que Néo met fin à la guerre avec les machine en agissant dans la matrice elle-même. De la même manière que la langue de bois, et par extension les politiques, doit être combattue par la maîtrise de la langue elle-même. De la même manière que l'injustice institutionnalisée doit être combattue par la mutinerie. De la même manière que l'ordre se combat en s'organisant. De la même manière que le chaos s'apprivoise en faisant confiance au hasard. De la même manière que l'on se combat soi-même par la pensée. De la même manière que les idéologies toxiques doivent être combattue par une maîtrise des idéologies. Par exemple. De la même manière que le capitalisme présente des failles dans son propre système réglementé. Et qu'elles sont à la portée du moindre péquenaud président qui maîtriseraient Excel et qui arrêteraient de confondre carrière et politique... Enfin, voilà. Les exemples sont nombreux. J'en ai juste pris quelques-uns, un peu trop même, au hasard... Histoire de crever le plancher, et de réveiller les tambours.