Tu t'enfuis une fois, c'est le fer rouge. Deux fois, c'est la découpe des oreilles et jarrets. Trois fois, la mort. Une esclave des champs de coton tente le tout pour le tout, et se fait la Belle, direction une vallée utopique où l'on vivrait en liberté...mais voilà que le colon (Benoît Magimel) s'en aperçoit, et lance à sa poursuite le père de l'évadée (Ibrahima Mbaye Tchie, qui surclasse tous les grands noms français au casting), son propre fils (Félix Lefèbvre), une chasseuse de prime (Camille Cottin) et ses gamins. Ni chaînes ni maîtres est l'un des rares films français (comparé à la flopée de films historiques qui traitent volontiers de toutes les autres périodes où l'on ne passe pas pour les vilains) à prendre place dans le contexte des colonies françaises. On se laisse donc embarquer dans cette aventure à travers champs et forêts pour retrouver la fille qui veut gagner sa liberté (on espère vainement ne jamais l'apercevoir, et que les chasseurs rentrent bredouilles), on réprime un "oh !" quant à ce qui arrive à Félix Lefèbvre (on n'en dit pas plus : il faut que vous le viviez pleinement), on essaie de ne pas trouver Magimel en sous-régime et Cottin en lutte avec un personnage très mal écrit (elle part dans la forêt cinq minutes, "Dieu m'a parlé, il m'a dit que j'avais raison.", et tout le monde l'accepte... On a rigolé quelque fois, malgré le film), dont les gamins se bagarrent carrément n'importe comment (c'est aussi ridicule que fascinant : parmi les techniciens, personne ne s'est jamais bagarré ?), et on plisse les yeux pour y voir quelque chose dans la scène de l'orage. Cette scène est tellement sombre (ou bien c'était notre projo ?) que l'on entend des cris, des coups, on voit passer du gris foncé dans le noir de l'écran, et on essaie de reconnaître à la voix qui est mort. Le final n'est pas très fin non plus, car le titre vous spoile la phrase-clé et l'intention des personnages avant même qu'ils n'en aient l'idée, dommage (un autre titre, et la scène marchait du tonnerre). Il n'en reste pas moins que le rythme est excellent, que l'acteur principal Ibrahima Mbaye Tchie vole la vedette à tous les autres, que l'histoire est crue et nous donne à voir un pan de l'Histoire que l'on oublie un peu vite, que l'on a quelques scènes qui restent en tête (on s'est fait prendre par surprise quelques fois : le fils du colon...), et que la fin reste vraiment bien filmée (

les deux héros qui se jettent ensemble dans le vide en se tenant la main

: c'est prévisible, mais tellement graphique, on valide). Ni chaînes ni maîtres n'a pas l'intention de faire une Révolution, mais s'émancipe bien des carcans du cinéma français vu et revu.

Aude_L
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Deauville 2024

Créée

il y a 10 heures

Aude_L

Écrit par

D'autres avis sur Ni chaînes ni maîtres

Ni chaînes ni maîtres
the_stone
7

Un témoignage historique précieux

Autre lieu, autre époque. Ni chaînes ni maîtres raconte le destin de Massamba et sa fille Mati, esclaves dans une plantation de canne à sucre à l’île Maurice au XVIIIème siècle. En abordant le sujet...

le 14 sept. 2024

6 j'aime

2

Ni chaînes ni maîtres
Cinephile-doux
5

La douleur marron

Il y a lieu de louer Simon Moutaïrou d'avoir choisi de traiter le thème de l'esclavage, lié au colonialisme des grandes puissances du passé, en l'occurrence ici, la France, dans le territoire appelé...

il y a 4 jours

5 j'aime

Ni chaînes ni maîtres
Selenie
8

Critique de Ni chaînes ni maîtres par Selenie

Le réalisateur-scénariste a la bonne idée surtout de n'être ni moralisateur ni trop explicatif ni donneur de leçon (au contraire de la comédie "Les Barbares" sorti ce même jour). Le cinéaste conte un...

il y a 5 jours

2 j'aime

2

Du même critique

The French Dispatch
Aude_L
7

Un tapis rouge démentiel

Un Wes Anderson qui reste égal à l'inventivité folle, au casting hallucinatoire et à l'esthétique (comme toujours) brillante de son auteur, mais qui, on l'avoue, restera certainement mineur dans sa...

le 29 juil. 2021

49 j'aime

Bob Marley: One Love
Aude_L
5

Pétard...mouillé.

Kingsley Ben-Adir est flamboyant dans le rôle du jeune lion Bob Marley, âme vivante (et tournoyante) de ce biopic à l'inverse ultra-sage, policé, et qui ne parle pas beaucoup de la vie du Monsieur...

le 14 févr. 2024

38 j'aime

Dogman
Aude_L
8

Besson a lâché les chiens !

Caleb Landry Jones est vraiment stupéfiant, nous ayant tour à tour fait peur, pitié, pleurer (l'interprétation d’Édith Piaf en clair-obscur, transcendée, avec un montage si passionné, on ne pouvait...

le 18 sept. 2023

38 j'aime