La douleur marron
Il y a lieu de louer Simon Moutaïrou d'avoir choisi de traiter le thème de l'esclavage, lié au colonialisme des grandes puissances du passé, en l'occurrence ici, la France, dans le territoire appelé...
le 20 sept. 2024
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Il y a quelques mois, au début de l’été, en vacances sur l’île de la Réunion, je m’étais fait la réflexion qu’il n’existait pas (à ma connaissance en tout cas) de film français sur le marronnage, cette fuite d’esclaves qui abandonnent leurs plantations pour se cacher dans les montagnes. Je m’étais dit qu’une intrigue sur un marron légendaire (Cimendef, Mafate, Dimitile ou Anchain) pour n’en citer que quelques-uns, s’affranchissant du joug du Code Noir, et pourchassé par le célèbre chasseur d’esclave Mussard, ferait géniale une idée de film.
C’est donc avec un certain amusement que j’ai découvert quelques semaines plus tard la bande annonce de Ni Chaînes ni maîtres. Le film reprend les principales étapes scénaristiques que j’imaginais, en les transposant à l’Isle de France, l’actuelle île Maurice. Les esclaves s’appellent ici Massamba et Mati, travaillent dans la plantation de cannes à sucre d’un riche français interprété par Benoît Magimel, et sont pourchassés par la chasseuse répondant au nom de Madame La Victoire.
Ni chaînes ni maîtres est le premier film en tant que réalisateur du scénariste Simon Moutaïrou, à qui on doit par exemple les scripts du Vilain d’Albert Dupontel, de Burn Out et Boîte Noire de Yann Gozlan, ou plus récemment de Goliath de Frédéric Tellier. Comme souvent pour les premiers films, l’idée du projet remonte à l’enfance. Le cinéaste raconte que « Instinctivement, je savais que mon premier film traiterait de l’esclavage. Avec du recul, je comprends que cet appel venait de loin. Adolescent, j’ai été profondément marqué par une vision : celle d’une immense porte de pierre rouge face à l’océan. Elle se dresse sur le rivage de la ville côtière de Ouidah, au Bénin, le pays de mon père. Elle se nomme La Porte du Non-Retour. C’est ici que des familles entières étaient arrachées au continent et déportées vers des horizons inconnus ». L’idée du scénario s’est ensuite précisée à la suite d’un séjour sur l’île Maurice, ainsi que plus de deux ans de documentation sur les conditions de vie des esclaves et des marrons sur cette île coloniale.
Il faut dire que cette documentation transparaît dans le film : on y croit de A à Z. Du processus de broyage et de production du sucre aux rapports entre colons, gouverneur de l’île et institutions de métropole, en passant par les conditions de vie compliquées dans la jungle ; on vit avec eux le malheur de ces esclaves, notamment le parcours de Cicéron, cet esclave privilégié qui perd du jour au lendemain son statut et décide de partir à la recherche de sa fille, qui s’est enfuie de l’exploitation.
La jungle est également un personnage presque à part entière dans le film. Le réalisateur raconte que le tournage sur place a été particulièrement difficile. « La nature ne nous a rien épargné : cyclones, mise en sinistre du film, enlisement des grues et des véhicules dans les coulées de boue, animaux bloqués à la douane, blessures des comédiens lors des courses en forêt… C’était un tournage très éprouvant ». De notre côté, on pense – toutes proportions gardées – au tournage catastrophique d’Apocalypse Now.
Ni chaînes ni maîtres fait appel à des acteurs connus – Benoît Magimel, fidèle à lui-même, incarne Eugène Larcenet, le propriétaire intransigeant de l’exploitation sucrière ; tandis qu’on retrouve Camille Cottin dans le rôle un peu à contre-emploi de Victoire, la méchante chasseuse de marrons – mais aussi à des acteurs non-professionnels ou peu identifiés du public. Anna Thiandoum, qui interprète Mati, la fille de Cicéron, a été engagée suite à un casting sauvage, tandis qu’Ibrahima Mbaye Thié, qui interprète son père, est un grand acteur de théâtre sénégalais mais qui a assez peu joué au cinéma (on a pu le voir par exemple dans un second rôle dans Atlantique de Mati Diop).
Mon principal reproche au film est peut-être son classicisme, tant au scénario que dans la réalisation. La psychologie des personnages aurait pu être un peu plus développée et certaines séquences ont parfois un air de déjà-vu.
Le long métrage reste toutefois un bon film historique, sur une part sombre de l’histoire de France souvent trop méconnue du grand public. Le film a plutôt bien démarré au cinéma, et on lui souhaite en tout cas une belle carrière !
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes 2024 : année cinématographique bluffante et Les meilleurs films se déroulant dans la jungle
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le 23 sept. 2024
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