Si le journalisme Low-cost fait désormais partie du paysage médiatique français, en Amérique, il s'est complètement substitué aux journaux télévisés traditionnels, remplaçant l'information par sa mise en scène permanente. Tel est le contexte du film, qui s'attaque de fait à un très gros "morceau". Pour s'en prendre à un tel fléau, devenu une norme des plus convenues et respectées, il fallait taper fort. Et question mise en scène, le réalisateur a du talent. Au travers d'un des personnages, le spectateur va suivre l'errance singulière d'un homme contaminé par le virus du voyeurisme, celui qui permet à des gens de s'approprier le réel, de saisir l'instant fatidique, et d'en vivre: les reporters. Cette errance deviendra peu à peu l'itinéraire tout tracé du reporter sans état d'âme, condition sine qua non de son ascension au rang de divinité. Les adorateurs? Les chaînes d'information, avides d'informations croustillantes (entendez: morbides), car c'est la raison d'être d'une chaîne d'info: faire du "buzz", autrement dit, de l'audimat. Car tout en bas de cette chaîne d'intermédiaires, de transactions, se trouve le con-sommateur, le téléspectateur, aubaine du siècle où le règne de la technoculture n'est plus un droit mais presque un devoir, une norme, une religion, le nouvel opium du peuple.
Récemment, une chaîne d'info low-cost, avide de reportages trash (M6, pour ne pas le citer) s'est vu gentiment réprimander pour avoir mis en scène une agression de clown, prêtant à des badauds des masques et les invitant généreusement (en échange de quelque récompense) à reproduire la scène qu'ils voulaient montrer au public. La volonté du Fast-News n'est plus d'informer mais de divertir, tel un bon film d'horreur, mais en plus "vraisemblable". Et le film, porté par un acteur extrêmement talentueux, va méticuleusement autopsier ce système immoral, et pourtant légal, qui a dévoyé et menace d'extinction le journalisme authentique. D'obstruction d'enquête à homicide, notre reporter peu scrupuleux tombera vite dans la spirale du commerce d'information: concurrence avec les autres reporters, meilleur angle de vue, gros plans sur l'hémoglobine, le scabreux, mais aussi l'émotionnel, bref: tout ce qui peut, de près ou de loin, flatter les bas instincts du public. "Il faut que notre public, blanc et aisé, ait peur... Ne filmez pas des Noirs se faire tuer, ça ne rapporte pas", nous rappelle la glaçante chef d'équipe, dont le poste dépend directement du succès de la chaîne. En fin de compte, dans un élan de réflexion, on se dit avec une pointe d'angoisse, que ce film est plus réel que le contenu des grandes chaînes d'information...
Les acteurs sont assez formidables, la musique lancinante est très prenante, sans ostensiblement surenchérir le suspense; et la mise en scène est soignée. On reconnaîtra la touche "Drive" , avec les scènes de conduite effrénée: la même maîtrise de la caméra, ou plutôt, des caméras, car tout le film n'est que mise en abyme. C'est sûrement un des plus grands films de l'année 2014.