Ma critique ne spoile pas véritablement le film dans le sens où elle ne révèle pas de bouleversement inattendu. En revanche elle détaille quelques passages et leur mise en scène, ce qui pourrait faire perdre en découverte ceux qui y sont sensibles ou qui veulent vraiment en savoir le moins possible.
Nina Wu est une jeune actrice taïwanaise en galère, se contentant de figuration et de courts-métrages. Mais quand on lui propose un rôle principal dans un film d'espionnage elle hésite malgré l'opportunité. Le rôle exige des scènes de nudité. Elle va finalement accepter et se retrouver plongée dans un monde étrange qui ne lui veut pas du bien.
Le thème de l'actrice mal considérée qui perd pied avec la réalité n'est pas nouveau et on aura du mal à dépasser Perfect Blue. Pour se démarquer il faut soit avoir un point de vue très singulier, soit une réalisation qui transcende le script. Ici on ne peut pas dire que ce qui arrive à l'actrice soit vraiment nouveau et le contexte #MeToo que l'on devine à la lecture du synopsis ne bouscule pas la situation, c'était déjà présent dans une bonne partie des films qui abordaient la face obscure d'Hollywood. Le script repose d'ailleurs sur la connaissance que le spectateur a du milieu pour qu'il appréhende ce qui pourrait arriver à Nina Wu, ainsi que pour jouer avec certaines idées exagérées qu'il pourrait se faire d'une situation pourtant bien assez ignoble. Cela reste un traitement scénaristique classique, mais aidé par un personnage bien écrit et une gestion intelligente des illusions. Ce qui va le plus retenir l'attention sur Nina Wu reste sa mise en scène.
La réalisation déboîte et multiplie les bonnes idées pour flouer les transitions entre rêve et réalité. J'ai en tête un travelling arrière d'une lenteur magnifiquement calculée, filmant une scène de tournage. On voit progressivement les coulisses tandis que l'équipe répète la scène. On se rend alors compte qu'on ne voit pas la caméra utilisée pour le film dans le film et que le rail de travelling de notre caméra extra-diégétique est lui bien visible. Ces 2 caméras s'avèrent donc confondues alors même que les personnages interrompent leur tournage, ce qui aurait donc dû interrompre le mouvement de la caméra intra-diégétique. Cela brouille les frontières entre notre film et le leur d'une manière discrète mais persistante. Ce qu'il se passe sur scène avec les personnages est également captivant en soi avec ce silence religieux alors que tout le monde s'affaire. On enchaîne les directives maniaques envers Nina mais on ne pourra même plus voir le résultat une fois que la caméra se sera trop éloignée, donnant l'impression que tous ces essais ne menaient à rien de visible.
On a de nombreux moments qui perturbent nos repères, de scènes dont le contenu se modifie sans qu'on n'y prête gare. La récurrence des sonneries de téléphone ressemble à un réveil brutal, pouvant tantôt sauver le personnage d'une trop longue immersion dans ses rêves (elle qui ne sait d'ailleurs pas nager), tantôt la rappeler à une réalité qui ne veut pas la laisser en paix. Le film contient son lot de plans-séquences qui donnent un aspect irréel, comme de pures scènes de cinéma qui s'inviteraient dans la réalité pour perturber l'héroïne. Il faut voir notamment la phénoménale scène de fin, autant une satire des coulisses du cinéma qu'une vraie scène de film de gangsters. Il faut également souligner le formidable travail sur le son. Le sound design n'hésite pas à pimenter les scènes de tension par l'irruption de bruitages extra-diégétiques étouffants, ou au contraire en interrompant un bruit de fond auquel on s'était habitué pour laisser place à un silence anxiogène et nous mettre sur nos gardes dans des situations pourtant banales.
L'actrice Wu Ke-hsi est investie en diable et le parcours de son personnage, certes pas nouveau, est judicieusement exposé. Elle qui essaie de se dissocier le plus possible de son corps, au point de le cacher même au spectateur quand elle se change en privé, n'est caractérisée par son nouvel entourage que par son acceptation de le montrer le temps d'une scène. La séquence attendue où elle doit jouer nue est présentée de manière vraiment maligne, on nous la fait deviner pour éviter le racolage sans l'esquiver, c'est l'antithèse du traitement choc de Perfect Blue. C'est présenté avec une parfaite lucidité sur les intentions du personnage du réalisateur, et une froideur qui la rend décalée. C'est en plus servi avec un long plan fixe feutré qui insiste bien sur ce lit inévitable.
Le film souffre cependant d'une grosse baisse de rythme, le temps d'une excursion pas inintéressante mais qui s'enlise trop pour son bien. Il y a aussi une fin qui est d'un genre qui ne me plaît personnellement pas. Sans spoiler, c'est le genre de fin qui préfère expliquer un point de scénario plutôt que de montrer ce que va devenir le personnage, ce que je trouvais fort dommage dans un film pareil.
Jouer au thriller psychologique avec des filtres colorés est un exercice plus commun qu'il n'y paraît. Pourtant le réalisateur Midi Z s'en tire à merveille et apporte le meilleur des mondes entre un style lancinant et clinique de film d'auteur, et une démarche plus ouverte au public de film de genre. Le ventre mou et l'interruption trop brutale du film lui portent préjudice mais ce serait dommage de se priver d'un si beau cinéma pour ça.