On a découvert Justin Kurzel il y a tout juste dix ans avec la claque « Les Crimes de Snowtown », une œuvre coup de poing, choc et sans concession qui s’inspirait de l’un des faits divers les plus horribles qu’ait connu l’Australie. Âpre, intense, glauque et dérangeant, cette œuvre avait marqué durablement les esprits et révélé un auteur. Puis Hollywood l’a remarqué et Kurzel a livré avec son second film, l’exact opposé : une nouvelle adaptation du « Mac Beth » de Shakespeare. Ennuyeux, interminable et raté, sa vision s’apparentait à un véritable chemin de croix. Puis, il s’est ensuite cassé les dents sur du blockbuster avec l’adaptation pas terrible du jeu vidéo « Assassin’s Creed ». Puis vint un film oubliable inédit en France, « Le gang Kelly » avant un retour salvateur avec ce « Nitram ». Kurzel a compris qu’il n’était jamais meilleur que sur ses terres avec des histoires réalistes et sombres. Il reprend donc le même schéma qu’avec « Les Crimes de Snowtown » pour son nouveau film, et à raison. L’Australie (enfin ici la Tasmanie), un fait divers ayant défrayé la chronique dans les années 90 et un traitement appliqué, entre l’aspect clinique et un certain naturalisme : et c’est tout à fait réussi.
Présenté en compétition à Cannes l’an passé, le film a permis à son acteur principal de recevoir le prix d’interprétation masculine. D’autres acteurs auraient pu l’avoir aussi car sa composition n’est pas non plus inoubliable et effarante mais cela reste mérité. Le rôle de cet inadapté social amateur de feux d’artifices et de jeux dangereux, il le prend à bras le corps et on y croit. Il parvient à nous inquiéter tout en nous faisant avoir pitié de lui. Caleb Landry Jones a donc réussi à rendre humain ce jeune adulte qui va se rendre coupable de cet acte horrible à la fin du film. Sans l’excuser, « Nitram » prend le temps d’ausculter la lente progression psychologique et la descente aux enfers qui vont l’amener à agir de la sorte. On n’ira pas jusqu’à dire que le scénario et la manière dont Kurzel évoque ce cas cherche à culpabiliser la société plus que l’homme, mais c’est assez ambigu pour être intéressant. Et cela permet de remettre la question des armes à feu sur la table de façon assez radicale mais à l’opposé d’un Michael Moore et son documentaire pamphlétaire « Bowling for Columbine ».
Il faut aussi parler des deux femmes qui vont influer fortement sur la vie du jeune homme, incarnées avec brio par deux actrices impeccables. D’un côté Judy Davis en mère tantôt castratrice, tantôt compréhensive et Essie Davies en riche héritière marginale qui va prendre Nitram sous son aile. La mise en scène de Kurzel est sublime, il filme cette région australienne durant les années 90 avec un goût certain. Entre les couchers de soleil sur ces paysages rares et quelques jolies idées de cadrages, l’esthétisme est là et la beauté des images tranche avec l’horreur de l’épilogue que Kurzel a le bon goût de suggérer. Le film fait la durée idéale et s’il manque peut-être quelques clés de compréhension psychologiques à tout cela, « Nitram » nous cueille du début à la fin. Il y a peut-être un personnage secondaire inutile aussi (le surfeur) mais cela ne perturbe pas le film outre mesure. Il évite donc à raison tout sensationnalisme ou esbroufe pour plutôt se focaliser sur ce qui amène un jeune homme perturbé à de telles extrémités. Un film des antipodes glaçant et qui fait réfléchir.
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