Bien que n’étant plus en âge de vivre avec ses parents, Nitram, surnommé ainsi depuis un accident avec des pétards, laisse passer les jours avec insouciance. Sa rencontre avec une ancienne comédienne de théâtre, Helen, riche héritière isolée, redonne un souffle à son existence. Mais un nouvel accident vient mettre un terme à leur relation. Nitram n’est qu’une succession d’accidents, et sombre peu à peu dans une colère qui va l’amener à commettre la célèbre tuerie de 1996, en Tasmanie.
Nous savons ce que nous allons voir, en visionnant NITRAM. Le thriller, ici, tient sa surprise du fait que nous ne connaissons pas encore l’angle choisi par le réalisateur d’origine australienne, Justin Kurzel (LES CRIMES DE SNOWTOWN, MACBETH), pour mettre en image le sombre parcours de l’auteur du massacre tristement célèbre de Port-Arthur, en Australie, où une fusillade dévastatrice vint ternir le printemps 1996. Dans son esthétique de film social, NITRAM fait écho au cinéma de Gus Van Sant, à la violence sournoise de ELEPHANT (2003), à la mise en scène de PARANOID PARK (2007). Le scénariste Shaun Grant, ayant travaillé sur la série MINDHUNTER (2017) de Joe Penhall, dans laquelle nous assistons à l’élargissement du FBI à la psychologie du meurtre, prépare ainsi une approche beaucoup plus pertinente qu’une simple dénonciation des atrocités commises par le genre humain. Car quand la question principale reste : pourquoi ; la véritable interrogation autour de cet intérêt pour le criminel sanguinaire, pour la folie humaine, pour tous les Charles Manson et les Eric Harris et Dylan Klebold, c’est d’essayer de comprendre : qui est à l’origine de la tragédie ? Qui est réellement cette personne, et quel est son parcours ?
C’est dans une absence totale de pathos que Justin Kurzel aborde donc l’histoire du dénommé “Nitram” pour avoir joué avec le feu enfant, vivant modestement chez ses parents tandis que l’enfance a quitté son visage depuis longtemps. Le comédien texan Caleb Landry Jones, vainqueur du prix d’interprétation masculine au dernier festival de Cannes, enfile avec pudeur le costume d’un jeune homme qui carbure aux antidépresseurs pour dissimuler un traumatisme latent, suivant l’initiative de sa mère (Judy Davis) n’osant pas voir la réalité de la détresse de son fils. Pour ses parents vieillissant, Nitram n’est encore qu’un enfant, et dans cette considération qu’ils ont pour lui, ils ne l’aident pas, hélas. Une certaine lourdeur ressort de temps à autre, nous faisant percevoir le jeune homme tel un paria, un simple d’esprit. Son attitude nonchalante face à la vie est glaçante, l’insensibilité de sa mère l’est plus encore. Refusant pour lui l’idée d’une thérapie car l’associant au fait d’admettre que son garçon n’est pas “normal”, ou bien par manque d’argent, elle l’enferme. Ce contrôle qu’elle exerce inconsciemment sur lui enclenche un sentiment de malaise qui va perdurer tout au long du film, allant crescendo. Le film se maintient cependant hors du marécage de la perfidie, par son anti-manichéisme volontaire, et la douce présence du personnage d’Helen (Essie Davis) en artiste à la retraite, entourée de sa horde de chiens, et porteuse d’une fantaisie de l’âme réconfortante.
Si NITRAM est une critique acerbe évidente de l’autorisation du port d’armes en Australie, il aborde aussi avec sensibilité ce qui advient lorsque l’homme en détresse n’est pas secouru. Car qui sont les criminels ? Les criminels sont bien souvent les laissés pour compte, ils sont ceux qui ne voient pas l’aide possible, ceux que l’on a abandonnés, les misérables, ainsi que l’écrivait Victor Hugo dans son roman : “la vie, le malheur, l’isolement, l’abandon, la pauvreté sont des champs de bataille qui ont leur héros, héros obscur” (Les Misérables, 1862). NITRAM est dérangeant parce qu’il ne pointe pas du doigt le coupable, qui nous a ému, et nous a fait rire. Il pointe du doigt un système, et ses dommages collatéraux.
Release the fire out of me
I don't wanna burn from the inside
And I don't know my name
And I don't know my purpose
(Otez ce feu de mon corps
Je ne veux pas brûler de l’intérieur
Je ne connais pas mon nom
Je ne connais pas mon but)
- Kevin Morby, Slow Train