« Le monde est un chaos, et son désordre excède tout ce qu'on y voudrait apporter de remède. »


Avant-Propos



Nul doute que No Country For Old Men sera un film qui marquera le cinéma américain moderne pour son approche assez savoureuse du western crépusculaire, mais aussi pour avoir proposé un antagoniste des plus remarquables, à savoir Anton Chigurh, campé par un Javier Bardem impérial.
A la fin du film, il est légitime pour le spectateur de se poser des questions quant au sens du long-métrage, tant il reste finalement assez cryptique sur certains aspects.
Après réflexion, 2 pistes d’interprétation différentes me sont venues à l’esprit : l’allégorie religieuse et le portrait de l’Amérique moderne.
Avant de commencer, résumons très grossièrement l’intrigue du film, afin que tout soit bien clair.
Le personnage principal, Llewyn Moss va découvrir une mallette remplie d’argent dans le désert (à la frontière entre le Mexique et les États Unis) celle-ci a été abandonnée par les cartels après un affrontement meurtrier qui n’aura laissé presque personne en vie.
Llewyn va faire le choix de récupérer le butin pour s’offrir une vie de rêves avec sa femme. Néanmoins, rien ne se déroulera comme prévu puisque l’implacable tueur Anton Chigurh va être lancé à ses trousses.
De là débutera une chasse à l’homme, où les deux personnages s’enfonceront dans une spirale de la violence (je reviendrai là-dessus pour la deuxième interprétation), qui se soldera par la mort de Llewyn, Anton sera blessé mais il survivra.
Tous ces évènements seront suivis de près par Tom Bell (Tommy Lee Jones), un shérif sur le point de prendre sa retraite.



Interprétation n°1: No Country for Old Men, une allégorie religieuse ?



Prenons ce qui marque le début de l’intrigue, à savoir le moment où Llewyn récupère la mallette d’argent, juste après le règlement de comptes entre cartels. On peut aisément dresser un parallèle entre ce passage et un épisode religieux bien connu, celui du pêché capital.
En effet, le personnage de Llewyn peut représenter le pêcheur, l’homme qui par simple envie ou par gourmandise (si on veut rester dans les pêchés) décide de toucher au Fruit Défendu (ici symbolisé par la mallette).
Cet acte déclenchera, n’ayant pas peur des mots, une simili-apocalypse, où le sang appelle le sang (ça, on en reparle de façon plus détaillée après).
D’ailleurs, on retrouvera des tableaux infernaux tout au long du film comme celui du carnage dans le désert, où la chaleur semble extrême et où seules les lois du chaos semblent s’appliquer.


Passons maintenant aux deux autres personnages principaux, Anton et Tom. Ceux-ci semblent au final incarner les deux faces d’une même pièce (sans mauvais jeu de mot), Chigurh symbolisant le Mal Incarné et Bell qui représente d’une certaine manière le Bien.
Cette idée de personnages-concepts qui sont diamétralement opposés au niveau de leurs idéaux et de leur sens moral notamment, mais paradoxalement complémentaires, est mise en avant par la symétrie entre certaines scènes des deux personnages, en effet, je pense notamment au passage où Anton boit du lait et voit son reflet dans une télé, tout comme le shérif juste après lui.

Finalement, à l’image des concepts qu’ils incarnent, les deux personnages ne meurent pas à l’issue du film, comme si un certain équilibre devrait être maintenu (bien qu’il soit clairement fragilisé).



Interprétation n°2 : No Country for Old Men, le portrait de l’Amérique moderne ?



Il est assez intéressant de voir que le film reflète la vision très pessimiste de l’Homme et de la société en générale qui est propre au contexte post 11 septembre, alors qu’en réalité, le film est assez ancré dans les années 80.
L’Amérique dans No Country For Old Men est désenchantée, les valeurs démocratiques y sont délaissées, laissant place à la loi de la violence.
La vision que propose les Coen sur leur pays est résolument pessimiste, vision qui est parfaitement retranscrite par le personnage de Tom Bell. Tom est un vieux de la vieille, observateur désabusé, qui ne comprend plus son propre pays, une Amérique piégée dans une spirale de violence et qui d’une certaine manière, fonce tout droit vers sa perte.
Finalement, Tom Bell pourrait être considéré comme le véritable héros tragique du film, il est un de ces derniers hommes qui a conservé ses valeurs mais il ne peut plus protéger son pays en pleine perdition.
La trajectoire meurtrière autour de la mallette peut aussi symboliser les ravages du capitalisme au sein de nos sociétés actuelles (comme si violence et argent étaient intimement liés, ce qui est assez raccord avec les thématiques chères aux Coen).



What you got ain't nothin' new. This country's hard on people. You can't stop what's coming. It ain't all waiting on you. That's vanity. - Ellis (Barry Corbin)



Bref, ce ne sont que différentes pistes de réflexion que j’ai eu sur le film, et je pense qu’il y a encore largement matière à débat sur ce long-métrage, on en reparlera encore des années de cette oeuvre à mon avis, et n’est-ce pas là l’apanage des grands films ?

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le 1 mars 2021

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SlippinJimmy

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