Fantasme de facho milicien survivaliste

Bon sang de bon soir, qu’est ce que le respectable Bob Odenkirk est allé foutre là dedans ?


Nobody est une nouvelle proposition de film d’action musclé mené par un personnage quinquagénaire, et il est en ce sens presque un produit dérivé des John Wick. Mais alors que j’apprécie beaucoup les John Wick, j’ai purement et simplement détesté Nobody. Et les raisons sont très simples.


Là où la colère - et les actions en résultant - de John Wick sont foncièrement absurdes et politiquement vides de sens (il décime des centaines de vies humaines car on a tué son chien..), Hutch, le personnage de Nobody, est animé par des raisons on ne peut plus réalistes. La logique du personnage, et ce faisant de ce film - une orgie d’hyper violence - est tragiquement transposable dans la réalité.


Nobody est purement et simplement un fantasme de fachiste survivaliste xénophobe amateur d’armes à feu apprenti justicier créateur de milice. Nobody est une vidéo de motivation pour tous les loups solitaires qui en ont après le monde extérieur.


C’est parti, avec légers spoilers, pour le top 7 des enjeux de scénario de facho :



  • Quand la maison de Hutch et sa famille sont cambriolés, il décide, dans le feu de l’action, d’épargner les criminels, alors qu’il avait gagné l’avantage. Conséquence ? Son fils lui en tient rigueur et perd le respect pour son père. S’en est ainsi pour à peu près tout le monde (ses collègues, sa femme, et même, c’est sous entendu, la police, qui, je cite « si ça avait été ma famille.. »). Mais quelle idée d’agir raisonnablement enfin ! Quelle idée de ne pas aggraver la situation ! Enfin Hutch ne laisses pas ta masculinité être remise en question ! Ne laisses pas ton égo être abimé ! Ah Hutch quelle lopette tu fais ! Ah Sacré Hubert ! Pardon je m’égare je pense à un bon film.


  • Quand Hutch aperçoit des mecs alcoolisés monter dans un bus, la mise en scène nous fait clairement comprendre « vous voyez spectateur, ceci est de la racaille », et le personnage, en les préjugeant tout autant, décide, de but en blanc « de leur casser la gueule ». Ceux qui ont vu le film savent qu’il est prétexté qu’il sauve une jeune femme d’un potentiel viol.. cela fonctionnerait si il ne décidait pas, à priori, de leur casser la gueule. Ils n’ont techniquement rien fait quand il décide de les attaquer.. il les attaque car il est en colère et il a trouvé des boucs émissaires pour recevoir son désir de violence. Désir qui est d’ailleurs explicite, c’est dans le texte : quand il aurait pu simplement sortir la jeune femme du bus, quand il aurait pu dire à la conductrice de bus de ne pas les laisser monter.. il ne pense qu’à sa satisfaction et il explique, à travers une voix off, avoir envie qu’ils montent pour qu'il les attaque.


  • Quand Hutch revient de son morceau de bravoure, il en est revitalisé, ça lui a fait du bien de casser des gueules (c’est toujours un super programme pour se détendre), et cerise sur le gâteau, voilà que sa vie de famille s’en voit ressuscitée (!). Quoi de mieux que de détruire des vies pour sentir son moi intérieur s’épanouir.


  • Quand Hutch raconte une histoire issue de son passé d’assassin, il s’attarde sur le détail du type d’arme qu’il utilisait, erreur sur laquelle s’attarde la mise en scène.. je m’explique. Il raconte, pour un assassinat, avoir utilisé le genre X de pistolet, alors qu’en fait non, c’est Y. Son erreur, dans le texte, est mise en scène visuellement avec le changement de l’arme qu’il tient en main, dans un gros plan de l’arme, éclairé comme une publicité. Ce moment encapsule un aspect majeur du film : la fétichisation absolue des armes. Nous assistons à tout ce que nous Français ne comprenons pas depuis des décennies, à savoir cette obsession culturelle pour les armes chez les états uniens. Le film est absolument premier degré là dessus, il n’y a pas une once de recul (enfin si, il y a du recul avec toutes ses balles tirées haha). On est dans une vidéo promotionnelle pour la NRA. C’est affligeant et effrayant. On notera que John Wick s’inscrit dans une certaine fétichisation aussi, mais encore une fois, sans contexte politique.. ce qui n’excuse pas tout non plus mais c’est une conversation pour un autre moment.


  • Quand Hutch compte se débarrasser d’une horde d’ennemis, il les attire sur son lieu de travail, lieu qu’il a piégé de partout. On voit bien là l’incarnation concrète du fantasme de la maison comme fort, permettant de se protéger de la menace, de préférence étrangère. Alerte survivaliste.


  • Quand Hutch, arrêté par la police, raconte son histoire, il est sorti d’affaire du fait de son statut de « nobody ». Ce titre désigne d’abord, en fonction du contexte de début de film, qu’il n’est personne, dans le sens où il s’est oublié dans une vie banale. Ce titre narrativement symbolique devient littéral plus tard, quand on comprend que c’est un statut à part entière qui fait de lui un homme redouté par virtuellement toutes les autorités. On assiste donc là au fantasme ultime du facho : l’homme pouvant exercer sa justice personnelle, en étant au dessus des lois. Un homme qui peut faire un carnage, de préférence en suivant ses instincts xénophobes, en assassinant tout ce qui est différent de lui. Ici, des Russes… (soupir..). Le tout sans en encaisser la moindre responsabilité. Typiquement le désir des apprentis justiciers qui montent des milices. Aled.


  • En bonus, on appréciera aussi que, si ce n’était pas clair, sa femme et sa famille sont absolument incapables de faire quoi que ce soit, il en revient à l’homme, ce mâle alpha, de les protéger. Le personnage de la femme, eu demeurant, ne se voit pas proposer plus de complexité qu’être une potiche, comme au bon vieux temps (si vous ne l’aviez pas compris, ce film s’inscrit manifestement dans la philosophie du « c’était mieux avant »). Oh si, elle possède bien une caractéristique. Elle a plus de succès que son mari dans sa carrière professionnelle. Un plan revenant plusieurs fois nous dit très clairement : alerte masculinité fragile ! La femme réussit plus que l’homme est ça ne peut être qu’une tragédie ! Oh et puis petite garniture en plus : le voisin a une super voiture de sport, alors que notre héros n’en a pas. Ce dernier s’emparera promptement de la dite voiture pour enfin, pouvoir faire rugir le lion qui est en lui. Est-ce qu’on peut trouver plus viriliste ? Ha on me dit dans l’oreillette qu’on est déjà au max.



On notera, enfin, que le scénario est construit de sorte qu’il n’y a littéralement pas de raison « logique » dans les actions du personnage. Quand Taken, le prototype du film d’action de quinquagénaire, présente un papa en colère qui détruit des hordes d’ennemis, c’est pour retrouver sa fille kidnappée. Qu’on apprécie ou pas ce genre de films « revanche », on constate qu’il y a un tant soit peu de logique narrative. Ici, il n’en est rien. Tout - si on suit la logique narrative du film - aurait pu être évité. Non, si le personnage passe à l’action, ce n’est pour aucune autre raison que la réparation de son égo fragilisé.


En somme, Nobody, comme beaucoup de films d’action « macho » avant lui, pose la question suivante : « qu’est ce qu’être un homme ? »


Les cinéastes de Nobody donnent la réponse qu’on ne croyait plus entendre aujourd’hui : le monde est divisé en perdants et en gagnants et l’accomplissement de soi n’existera que si tu gagnes, et gagner, c’est imposer ta supériorité par la force. Et pour cela il n’y a qu’un chemin : la haine de l’autre. Au secours.

MaxenceMagniez
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le 15 juin 2021

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Maxence Magniez

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