On peut dire ce qu'on veut du cinéma de Bertrand Bonello, mais celui-ci est un réalisateur, un vrai. Il suffit de voir quelques secondes de « Nocturama » pour s'en convaincre, impression décuplée au fil des minutes. Cette manière de filmer Paris, ces plans saisissants, cette technique insensée multipliant les plans sublimes, les angles incroyables... C'est devenu rarissime et voir un tel amour du cinéma, une telle puissance formelle ne peut que ranimer notre flamme d'amateur de septième art.
Je connais toutefois les critiques touchant « Nocturama » et peut en entendre certaines. Certes, plus de deux heures, c'est peut-être long. Comprends également celles touchant l'absence réelle de motivation chez les jeunes gens, mais à mon sens c'est aussi l'un des points les plus troublants de l'œuvre : une génération perdue pour des idéaux qu'elle comprend à peine, avant tout réunis par une
haine anticapitaliste fiévreuse.
Aucune allusion (ou presque) à la politique et à la religion, les protagonistes venant de milieux très différents.
Là où l'œuvre devient particulièrement troublante, c'est une fois les « terroristes »
retranchés dans un centre commercial pour le moins aisé. Attirés presque malgré eux par ce luxe qu'ils combattaient si farouchement quelques heures auparavant, on ne voit alors plus que des gamins comme les autres, aimant jouer, se déguiser, s'amuser, ne rendant que plus tragique l'issue irrémédiable vers laquelle on se dirige...
Au passage, si Bonello porte un regard fort ambigu sur une certaine jeunesse contemporaine, que dire de celui sur
les forces de l'ordre, auteurs d'un véritable carnage et d'assassinats en bonne et due forme alors qu'on ne leur opposait pas la moindre résistance (innocents compris).
Belle ambiance musicale
(signée par le réalisateur « himself », dont un étonnant remix électro d' « Amicalement vôtre »),
malgré quelques gros loupés rap pouvant néanmoins se justifier par le profil de celui le diffusant.
Alors oui, les choix orchestrés ne sont clairement pas faits pour plaire à tous, le réalisateur se regarde un peu filmer par moments et le scénario souffre de trous qu'il aurait été bon de combler, mais l'essentiel est là : une claque formelle comme peu d'autres sont capables de nous en offrir aujourd'hui, et un regard aiguisé, complexe sur des jeunes gens en perdition, incarnée par des comédiens remarquablement choisis, la fascinante Laure Valentinelli en tête, que je suis très surpris ne jamais avoir revu depuis. Le cinéma français comme j'aimerais le voir (beaucoup) plus souvent.