Nocturnal Animals semble fasciner les foules, tant pour le nom de Tom Ford que pour son casting quatre étoiles dont on tire notamment Amy Adams et Jake Gyllenhaal dans les rôles principaux – les deux interprètes sont toujours aussi bons et irradient par leurs charismes respectifs. Le film se fait la joie d’en mettre plein la vue, dès son générique hypnotisant et intriguant, sur la composition fort réussie d’Abel Korzeniowki. Après un excès soigneusement calculé de bruits et de couleurs sur une vision presque grotesque, on rencontre Susan, galeriste d’art insomniaque qui aime parler à mi-voix et prendre des bains dans sa gigantesque piscine au design fort élaboré. Tom Ford s’amuse avec les lignes de la galerie et de la maison de son héroïne mais aussi celles des routes de Los Angeles, pour un ballet visuel sublimé par une excellente photographie de Seamus McGarvey. Le réalisateur se plaît à sublimer comme critiquer le monde de l’art : univers à la fois froid et extrêmement superficiel, paradoxalement incapable de reconnaître les forces du cœur, prison professionnelle pour Susan qui n’y trouve pas le bonheur tant attendu. Mais, c’est l’essence même de cet univers, à savoir la création artistique qui l’en tire, à travers le roman de son premier mari, échappatoire violent et passionné, qui remet ses émotions perdues à nu et l’amène, dans sa solitude actuelle, à se questionner sur son passé, à travers (entre autres) la perte d’une famille.


De ce fait, le film même s’offre une dimension métadiscursive, sans grande humilité (ce n’est cependant pas là un reproche) mais, dans la forme, tout à fait réussie. Nocturnal Animals construit son décor, son univers, son ambiance, autour de l’idée d’une sorte de trip, mené par l’extrême fatigue qui plonge le personnage principal dans un état presque second et vise parfois l’expérience sensorielles. Véritable addiction, l’objet du livre devient portail vers un autre monde, tout comme l’oeuvre projetée ambitionne le même effet sur le spectateur. La direction artistique élégante achève la fascination pour cette histoire de regret et de violence, nous laissant nous délecter encore de l’aspect plastique du film, de ses jeux habiles avec le chaud et le froid, en couleurs, en caractères des personnages, en décors. Seulement, une fois l’appréciation esthétique suffisamment essorée, Nocturnal Animals laisse entrevoir ses faiblesses, à travers quelques longueurs pendant lesquelles, en calculant si minutieusement le quasi-mysticisme et les profusions de violence de son film, Tom Ford se perd dans une subversion bon chic bon genre, trop orchestrée pour être honnête.


L’erreur de Nocturnal Animals est d’avoir trop cherché à côtoyer les extrêmes. Si plusieurs interprétations du parallèle entre Amy Adams et le roman dans lequel évolue la première vision que l’on rencontre de Jake Gyllenhaal sont possibles, la plus intéressante reste la métaphore et la reprise des thèmes de la vie de l’une dans la fiction de l’autre. Le concept est un peu bateau mais comme mentionné précédemment, c’est bien pensé et, dans la forme réussi. L’ensemble pourrait devenir tout à fait devenir très intéressant si la différence entre les deux univers ne laissait pas une saveur moins piquante que voulu, dont les ficelles apparentes enlèvent le charme et dissolvent la force. On constate avec regret qu’en voulant poser un regard critique sur le monde de l’art contemporain, Tom Ford l’embrasse et ne parvient pas à se détacher, tombant même dans ce qu’il tenait à critiquer. Dès lors, le film n’est plus tout à fait convaincants, les idées viscérales des remords, regrets et la perte des repères ne sont plus que fioritures parmi tant d’autres.


Nocturnal Animals est, dans sa forme, un très beau film, porté un excellent duo d’acteurs qui s’illustrent une nouvelle fois dans une multitude de registres, au sein d’un seule œuvre. C’est néanmoins un long-métrage plombé par une recherche trop chic de la subversion, pour un drame qui se dilate au fil du déroulement, au lieu de gagner en force.

mnfrankenstein
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le 12 janv. 2018

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