À la suite de la crise économique de 2008 et du décès de son mari Bo, Fern (Frances McDormand) se lance dans un voyage au côté des « vandwellers », ces nomades des temps modernes sillonnant les routes de l’Ouest américain dans leur van, à la recherche de petits boulots. Adaptation du livre de Jessica Bruder, Nomadland s’inscrit dans le geste de cinéma que Chloé Zhao a entamé dès son premier film : un portrait intimiste de l’Amérique des laissés pour compte, à travers le prisme d’un cinéma social et contemplatif.
Après avoir consacré ses deux premiers long-métrages à la jeunesse indienne de la réserve de Pine Ridge dans le Dakota du Sud (Les Chansons que mes frères m’ont apprises, The Rider), Chloé Zhao porte avec Nomadland un regard touchant et profondément humaniste sur ces hommes et ces femmes forcés à prendre la route après la lourde défaite d’un système qui pourtant leur promettait tout.
C’est avec le personnage de Fern que la réalisatrice sonde tout un mode de vie, au fil de ses multiples rencontres sur les routes. Saisissante de justesse dans son interprétation, Frances McDormand incarne un personnage endeuillé dont le parcours est marqué par une retenue dans l’expression de ses sentiments, jusqu’à une ouverture progressive vers l’altérité. Fern devient en effet ce protagoniste qui donne une voix aux oubliés, toujours à l’écoute de leur témoignages et de leur expériences, bouleversantes d’humanité. Le film est ainsi l’occasion de constater avec émotion la construction de liens forts au sein d’une communauté, notamment lors de grands rassemblements.
Le récit de Fern prend l’ampleur d’un road movie contemplatif grâce à l’impressionnant travail en lumière naturelle de Joshua James Richards, déjà directeur de la photographique sur les précédents films de la réalisatrice. Les plans sont d’impressionnants panoramas crépusculaires dans lesquels progressent les silhouettes d’une Amérique désenchantée, vouées à une longue errance dans des paysages ayant eux aussi perdu de leur vibrance. Chloé Zhao prend également le temps de filmer le quotidien de nomades, à la lumière d’un feu de camp, des néons d’une aire d’autoroute déserte ou à l’intérieur d’un van, faiblement éclairé. Cette poésie transmise par la mise en scène est également renforcée par des moments de grâce portés par la musique de Ludovico Einaudi, discrète, mais qui sait souligner la beauté des rencontres.
Nomadland tire également toute sa puissance émotionnelle dans son regard profondément empathique sur la vie de ces vagabonds. Le film réitère avec un parti pris cher à Chloé Zhao qui est de faire jouer des acteurs non-professionnels pour embrasser totalement son sujet. À la manière d’un documentaire, le récit de Fern est ponctué par une série de témoignages touchants à propos de leur perception de la vie de nomade qui lèvent le voile sur toute une réflexion sur la débrouillardise ou encore la notion de foyer. Pourtant c’est bien la mort qui semble au cœur des échanges. On repense aux paroles puissantes de Bob Wells (initiateur du vandewelling) lorsqu’il parle à Fern de la disparition de son fils. Son « See you down the road » résonne à travers l’ensemble du long-métrage comme l’expression d’une forme discrète de deuil : avec le nomadisme, l’adieu n’est jamais définitif, toujours compensé par l’espoir de se revoir, au moins encore une fois sur les routes.
Nomadland est un film bouleversant. À la fois portrait déchirant de femme et peinture d’une grande authenticité des vagabonds d’une Amérique désenchantée, le dernier film de Chloé Zhao est une œuvre d’une grande pureté qui émeut par son humanité.
Critique écrite et publiée pour l'association Les Hallucinés, le 19 juin 2021.