Musique : A Hero Falls - Michael Abels


Résumé :

L'entreprise familiale des Haywood s'occupe d'un ranch au fin fond de la Californie dans lequel le père et son fils entraînent leur écurie pour le tournage de films. Néanmoins tout bascule la nuit où le père décède subitement, abattu par un objet tombé du ciel. À partir de ce moment-là, tous les yeux (et les caméras) sont rivés vers le ciel et plus précisément sur un nuage étrangement immobile.


Jordan Peele dépoussière le genre du western, dans lequel les colons sont remplacés par une entité monstrueuse, et livre un film intéressant. Toutefois, sa proposition manque d'audace, tant esthétiquement que narrativement, et tombe rapidement dans les travers des films horrifiques standards : du sang, des sursauts et des larmes.


Cette chronique est susceptible de divulgâcher des éléments importants de l'histoire. Je vous invite à voir le film avant de lire ce papier.


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Mot clés : Aliens - Western - Post-Horror Movies - OVNI - Horreur - Spectacle


Le troisième long-métrage de Jordan Peele n'en demeure pas moins intéressant dans sa manière de convoquer l'effroi. Il met en scène une horreur rampante voire invisible par moment, qui tarde à venir. Dès lors, à l'instar du personnage principal qui répète « Nope » refusant de croire ce qu'il voit, le réalisateur détourne le regard et se refuse, pendant une bonne partie du film, à nous montrer l'épouvantable altérité. Ainsi, on assiste à un changement de paradigme au sein duquel le spectateur se crispe, non plus à cause d'une présence terrifiante, mais plutôt autour d'une absence obsédante. C'est ici que réside le nœud du problème, comment matérialiser une absence et par quels moyens Peele tente-t-il de filmer l'impossible ?



I. Une esthétique de l'absence.


Parmi les films d'horreur récents, nombreux sont ceux qui se distinguent par leur étrange normalité. Largement éloignés des standards des décennies précédentes, ils imposent au contraire un rythme lent, une esthétique léchée et un mélange des genres plus ou moins bien dosé. Loin des canons horrifiques clinquants et sanglants, ces films se différencient au contraire par leur minimalisme et leur ambiance ouatée.


On retrouve bien cela dans la vallée désertique où habitent les Haywood, complètement esseulés. Le spectateur est placé dans une situation d'observateur et attend l'horreur au lieu de la subir. En outre, les immenses paysages de plaines et de vallées écrasent les personnages et suggèrent une menace planante au-dessus de la famille. Puis, par ces grands espaces, on se rend compte également d'une chose : il n'y a pas d'abri mais qu'un horizon à fuir. Ce qui constitue une source d'angoisse supplémentaire, sans que l'on sache réellement d'où elle vient et à quoi elle ressemble. Ainsi, mis à part cette nature gigantesque, rien ne peut susciter l'effroi du spectateur. Le minimalisme est tel, que les plans de nuages ont certainement coûté plus cher que l'intérieur du monstre lui-même.


Hormis cette pièce de monnaie tombée du ciel, rien de tangible n'annonce l'horreur à venir. L'avertissement se manifeste par des ombres, des hennissements, des nuages de sable. On a pu voir le même genre de procédés dans le thriller d'Olivier Assayas, Personal Shopper (2016), dans lequel les présences se manifestent par des éclats de lumière. Paradoxalement au regard de ses deux derniers films [Get-out (2017) et Us (2019)], Jordan Peele semble refuser le spectaculaire au profit d'une proposition plus réservée. Cette démonstration viendra (malheureusement) plus tard. Cet art subtil de la suggestion fonctionne durant un moment car la non-présence devient obsédante et crispante. Le spectateur redoute autant qu'il ronge son frein de voir la bête.


Pour résumer on ne voit rien, presque rien. Mais « trois fois rien c'est déjà quelque chose » comme pouvait si bien le clamer Raymond Devos sur les planches. Ce qui est d'autant plus intéressant, c'est que Jordan Peele joue sur cette attente et détourne le regard - comme ses personnages et, par la force des choses, comme ses spectateurs - alors que l'intrigue de son film repose justement sur la preuve vidéo à apporter. Un régime de preuve dans lequel la vidéo équivaut à la légitimation de l'existence de cet Autre.


Jordan Peele appliquait si bien la formule du less is more, de l'effroi dans la suggestion dans la première partie du film que cela était bien trop beau pour durer.




II. L'horreur inévitable.


Bien sûr, Jordan Peele reste un homme de spectacle, issu du milieu humoristique, c'est d'ailleurs pourquoi il manifeste tant d'aisance dans le mélange des genres. Dans ce sens, tout auteur qu'est Jordan Peele, la pression d'Hollywood est la même, du moins c'est mon interprétation. Il faut du sang, des cris, des larmes. Dès lors, de la suggestion plus ou moins subtile, on passe à la démonstration pataude : une soucoupe volante digne de Rencontres du troisième type (1977) et une maison ruisselante sous une pluie de sang à la Amityville (1979).


Car, on le voit, l'une des ambitions de ce réalisateur est de créer des images fortes, devenir un objet de pop-culture comme la tasse de thé dans son premier film, la paire de ciseaux dans son deuxième film, le singe possédé et la chaussure irrésistiblement attirée vers le ciel dans son dernier film. L'effroi se cristallise dans ces impressions.


Mais à l'image d'un fantasme qui perdrait toute sa saveur quand il est réalisé, il aurait peut-être été préférable dans le cas de Nope de ne rien montrer. De jouer sur une attente lancinante sans jamais la combler.


En tardant à nous montrer frontalement cet Autre, Jordan Peele créer une attente chez le spectateur qui ne peut se solder que de trois façons : Une horreur frontale et sans concession à la Elephant Man (1978) de David Lynch ; Une horreur lyrique à la A Ghost Story (2017) de David Lowery ; Une horreur grotesque à la Meurs, monstre, meurs (2018) de Alejandro Fadel. Malheureusement, c'est un peu dans ce dernier écueil que tombe Ici avec Nope. Même si on remarque une originalité certaine et une forme de poésie dans sa manière de convoquer l'altérité. Dans la mesure où le réalisateur plaque sur l'horreur un monstre d'une légèreté et d'une finesse déconcertante.


Cependant, à l'instar du réalisateur Antlers Holst dans le film qui se fait dévorer en souhaitant filmer au plus près la bête, Jordan Peele échoue à filmer l'impossible et voulant à tout prix montrer l'horreur. L'impossible n'est plus, la banalité triomphe.


Notons que toutefois, cette spectacularisation de l'horreur n'est pas totalement gratuite.



III. L'addiction aux spectacles.


Tout n'est que spectacle. Tout ce décor de plateaux de tournage et de parc à thème dans ce Far-West renvoie au spectacle. En effet, le goût de Jordan Peele pour le divertissement n'est jamais très loin. Il reprend à son compte l'identité grandiloquente, tant visuelle que sonore, des westerns et cite les série B ridicules. Mais c'est justement cette spectacularisation que dénonce Jordan Peele. C'est cette addiction au spectacle, cette pulsion scopique - c'est-à-dire cette démangeaison de vouloir voir - que met en avant le réalisateur. Peele nous met en position de scrutateurs : on veut aussi capter l'impossible en croyant déceler un mouvement dans un nuage.


Il tourne aussi en dérision ses propres inspirations : soucoupe volante, petits hommes verts, la série B avec un singe vedette, le cow-boy avec son chapeau et les détourne.


On le voit d'ailleurs dans la réaction des personnages. Ces derniers ne sont pas animés par la revanche et la volonté de faire leur deuil mais par l'argent et la célébrité. La première chose qu'ils veulent faire, ce n'est pas d'alerter le gouvernement et l'opinion publique, c'est vendre les images à Oprah Winfrey, de passer à la télévision et accéder à leur quart d'heure de célébrité.


C'est bien la marchandisation de l'horreur, de la course à l'information, de la superficialité de la société dont il est question ce social thriller. À l'instar du récent (et très bon) Don't look up (2021), Nope met en lumière l'incrédulité et le spectacle permanent dans lequel nous évoluons et nous tend un miroir, allons-nous encore détourner le regard ?

Moodeye
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le 21 avr. 2023

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