Toute réflexion sur l’avenir nous apporte, plutôt que des certitudes en réponse à nos incertitudes d’avenir, des incertitudes en réponse à nos certitudes présentes - Edgar Morin.


Tout commence sous la gouverne de la banalité : un journaliste (Joaquin Phoenix) travaille pour la radio, sa tâche consiste à demander à des enfants et à des adolescents de quelle façon ils imaginent l’avenir. Un jour, on lui demande de surveiller quelques semaines son neveu (Woody Norman). S’engage alors une réflexion profonde sur le passé, le présent, et l’avenir, entre les deux personnages.


Avec un titre français pareil et un synopsis aussi monotone, on aurait pu croire à une ode à l’enfance. Il n’en est rien. « Nos âmes d’enfants » ne met pas en place le théâtre de la naïveté et de l’insouciance de l’enfance. Il met en place la noirceur d’un monde, le nôtre, à travers l’esprit manipulateur d’un enfant qui retourne les caractéristiques de l’échange prévu pour mieux questionner l’adulte sur sa vie, ses choix, et le souvenir qu’il laissera au monde. Une inversion des rôles initiaux qui replace les choses en ordre. Car si l’enfant est tourné vers le futur et que l’adulte regarde vers le passé, alors c’est bien au pilier du futur monde (l’enfant) de mener l’interrogatoire pour remettre en question la solidité des fondations (les adultes) d’une structure (le monde) qui flétrit de plus en plus.


Cet adulte incarné par Joaquin Phoenix jongle entre le relâchement total et la pudeur en fonction des circonstances du moment. On le sent en apprentissage, lui qui bénéficie normalement de l'expérience de la vie, comme si c’était à la jeunesse de le rééduquer totalement. De lui réapprendre à vivre. À sourire. De son côté, Woody Norman est la grande révélation du film. Il campe avec brio le rôle d'un enfant un brin inquisiteur et à l'imagination débordante. Le film nous fait même le grand plaisir d'éviter les écueils les plus graves en ne basculant pas dans les clichés les plus ternes : Joaquin Phoenix n'incarne pas ce père de substitution, et Woody Norman n'est pas cet enfant en quête d'une figure paternelle. Ce ne sont que deux êtres humains qui partagent des émotions sans jamais user la corde sociologique. Et tandis que les notions d’adulte et d’enfant se confondent, le film émet cette idée vertigineuse que le véritable enfant de l’histoire était peut-être l’adulte perdu dans une réalité crue.


Dans ce bal de questions à la fois si joyeux et sombre, le présent métrage prend son rôle de documentaire très au sérieux en arborant une esthétique classique en noir et blanc. On pourrait toutefois juger ce choix un peu trop arrogant, comme si l’œuvre voulait se donner une haute valorisation intellectuelle. Mais il est aussi une manière de sublimer la complicité de l’adulte et de l’enfant. Au gré des pensées philosophiques et spirituelles, la caméra capte les visages et on y décèle alors l’évolution apportée par cette nouvelle relation chez les deux personnages. L’adulte redevient enfant, l’enfant devient encore un peu plus adulte. Et c’en est presque un privilège de voir la maturité naître en un regard chez l’enfant pour aussitôt constater que l’adulte retombe en enfance afin d'oublier les maux de sa vie.


Scène après scène, deux générations se soignent et apprennent ensemble. D’autant plus qu’avec l’enfant on s’attend à une forme de candeur. Il n’en est là encore rien. Cet enfant-là préfère briser la réputation d’incompréhension qu’on colle forcément à l’enfance comme si c’était une évidence absolue. Il demeure incorruptible à la malhonnêteté parfois réconfortante de ses proches et donc parfaitement conscient de son monde. De quoi nous faire comprendre que la vie d’adulte n’est pas si différente de celle d’un enfant. Il y a cette complexité, peu rassurante, là-aussi, d’un avenir incertain. D'un présent chamboulé. Et d'un passé porteur de lourds regrets.


Pour le reste, il y a un élément paradoxalement et positivement atténué qui a pourtant un grand intérêt : le son. Le capter est le métier de ce journaliste, mais l'enfant fait du travail de son oncle sa passion en s'appropriant avec aisance le micro de son matériel. De New-York à la Nouvelle-Orléans, dans un espèce de road trip léger, les sons spécifiques des villes sont enregistrés et analysés. La musique composée par Bryce et Aaron Dessner est alors réduite pour ne pas perturber les mélodies de la vie. Par ce choix, le film ouvre ainsi une nouvelle fenêtre vers le monde pour l'enfant. Pour nous, cela devient un vecteur de thèmes : l'héritage des générations, l'identité, et tout le spectre social de la civilisation.



Conclusion :



Nos âmes d’enfants est une œuvre qui déborde de sensibilité. Elle parvient à capter des émotions pures et nous fait s’écrouler sous le poids de questions existentielles. En ressort un film bouleversant dans le drame comme dans la comédie.

Death Watch

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