Un film d'auteur en noir et blanc qui enchaîne les réflexions sur le sens de la vie, la famille, la mémoire, l'héritage parental et l'héritage générationnel, le tout souvent avec un fond de musique classique... Tout est en place pour un film arrogant.
Et pourtant, ça fonctionne. L'interprétation de tous les acteurs facilite l'adhésion du spectateur. La relation entre Johnny (Joaquin Phoenix) et Jesse (Woody Norman) est très touchante, de même que celle à distance avec Viv (Gaby Hoffmann).
Ces 3 personnages bénéficient d'une écriture toute en sensibilité, qui ne tombe jamais dans l'exubérant malgré les pièges évidents que présente l'intention du réalisateur. Je prends par exemple le traitement de la maladie de Paul : le choix est fait de peu montrer les accès de folie causés par la maladie et de préférer la traiter via le regard de Jesse, via sa peur de perdre son père, sa peur de lui aussi ne pas être "normal" plus tard. En comparaison, Les intranquilles de J.Lafosse m'avait justement déçu par le traitement inverse, en se concentrant sur les symptômes de la folie sans chercher à creuser les impacts sur l'entourage.
Les blessures de ces 3 personnages sont une porte communicante avec les propos recueillis auprès des divers enfants interrogés. Par cette approche naïve, le réalisateur nous permet principalement de questionner notre rapport aux émotions : quel était-il quand nous étions enfants ? Et maintenant que nous sommes adultes, qu'en reste-t-il ?
Notre mémoire, imparfaite, décide de ne garder que très peu de fragments de l'enfance. Nous avons tous été comme Jesse et nous avons pourtant perdu cette curiosité et cette spontanéité. Pire, la sienne nous rend impatients. Johnny sait que Jesse ne se souviendra que très peu de ce périple, et il ne reste qu'un seul rôle à tenir pour les adultes : celui de la transmission.
Tous ces thèmes s'entremêlent, comme s'entremêlent les différents types de narration choisis par la mise en scène. Cette mise en scène refuse de se figer, refuse une unité temporelle ou de lieu et décide d'être aussi volatile que la pensée. Une narration indirecte devient vite, grâce au montage, directe en nous transposant soit dans le passé, soit à plusieurs kilomètres de l'action initiale. Les échanges entre Jesse et Johnny sont parasités par des sms avec Viv, par des extraits d'interviews d'enfants, nous forçant à ne pas nous arrêter à l'histoire de ces 3 personnages pour accéder à une vérité plus générale.
Sous ses airs de film pompeux, ce film est finalement d'une simplicité assez déconcertante, il apporte beaucoup de fraîcheur et nous invite à replonger dans ses réflexions pour construire les nôtres plutôt que de nous imposer les siennes. Il est comme un petit livre de chevet qu'on parcourrait avec une hypnotique bande son signée Bryce et Aaron Dessner dans les oreilles.