Nosferatu
6.4
Nosferatu

Film de Robert Eggers (2024)

On ne pourra pas dire que je ne l'avais pas attendu celui-là !


Aussi longue que celle du comte, mon attente pour ce film remonte facilement à l'aube des temps. Presque... Il n'empêche qu'à partir du moment où je l'avais appris, j'avais immédiatement été attiré par ce projet convoité par Eggers depuis très longtemps. Quelle ne fut pas ma joie lorsque j'appris peu de temps après que le film allait enfin être mis en production, trois décennies après le Dracula de Coppola, quatre avec le Nosferatu d'Herzog. Quelques années de patience de plus, et voilà le dernier bébé de Robert.


Revisiter le roman de Stoker est, on a pu le voir avec les précédentes adaptations majeures, une tâche aussi intéressante que répétitive. Après-tout, quand on connaît l'histoire et les thèmes par coeur, qu'y a-t-il à attendre d'un énième repompage ? Recracher la soupe en faisant un peu sa propre sauce, à force on s'en lasse non ? Eh bien... Pourquoi pas par plaisir coupable ? D'autant plus si le plaisir en question est d'une telle succulence.


Au gré de ma récente rétrospective j'ai pris un immense plaisir à voir comment, d'une histoire désormais tristement convenue et la postérité du mythe ayant largement dépassé le vampire inventé de toutes pièces dans l'oeuvre de Stoker, chaque adaptation a su se les approprier avec des visions qui, tout en faisant écho aux adaptations qui les ont précédées, ont emprunté des chemins suffisamment différents pour que chaque version aie sa propre identité, tout en restant dans un spectre thématique défini.


Avec plus d'un siècle séparant cette itération 2024 du classique de Murnau, et autant de temps pour que la figure du vampire évolue sous une infinité d'approches au point d'être totalement démystifiée, il était donc intéressant de retourner aux origines de l'horreur pouvant émaner d'une figure telle que Nosferatu. Si la version 1922 est intemporelle à mes yeux, elle reste d'abord une (fantastique) capsule temporelle du langage cinématographique de cette époque, de l'expressionnisme allemand. Robert Eggers choisit donc une route bien différente pour redonner vie à ce récit et à ce monstre. Une route fondamentalement classique, mais jusqu'au-boutiste dans son approche, et diablement intense.


On le sait désormais très bien avec le gus : Eggers a un talent certain pour infuser ses films d'un souci du détail et de la vraisemblance historique tout en les rendant très captivants - et visuellement sublimes. Tant d'éléments qui rendent chacun de ses travaux immersifs pour quiconque accepte ce type de voyage.


Et sublime, qu'il l'est ce film.


Du début à la fin, il y a un soin particulier pour nous baigner dans les atmosphères les plus enivrantes possibles. Il est évident que la partie dans les montagnes survole le reste, mais entre les décors, les costumes, et surtout l'éclairage... on se sent clairement projeté dans une autre époque, en plein rêve cauchemardesque.


S'y démène une ribambelle de personnages tous très bien interprétés, même dans les rôles à cabotinages ça a marché pour moi. Lily Rose Depp est ma révélation du film, sa capacité à jouer à ce point sur ses émotions tant dans les éruptions d'énergies démoniaques que dans ses tourments les plus profonds m'a épaté.

Malgré la lourdeur d'une partie des dialogues, elle et le reste du casting étaient superbes. J'aborderai le cas du vampire à part, pour ce qui est du reste je salue d'abord la performance toute en sueurs de Nicholas Hoult, sans qui le gravitas de Nosferatu n'aurait pas aussi bien décollé au moment de leur première rencontre. Il insuffle une fragilité de verre à ce notaire aimant et volontaire mais faillible qui rend le personnage aussi pathétique que sympathique. Le parfait monsieur tout le monde qui n'a aucune idée des ténèbres qui s'apprêtent à le croquer et le rendre sans défenses.

J'ai également aimé le stoïcisme progressivement chamboulé de Aaron Taylor-Johnson, et Willem Dafoe est toujours un plaisir dès lors qu'il fait office de scientifique fou.


Bill Skarsgard disparaît vraiment derrière ce nouveau rôle parfaitement taillé pour lui. Sans trop en dévoiler (bien que je sois en retard à la fête) : l'utilisation de sa voix, le maquillage, le costume, le montage sonore, la mise en scène et j'en passe... Tout est fait pour le rendre totalement méconnaissable, tout en étant une proposition "historiquement" très intéressante. Bill est remarquable dans chacune de ses apparitions, et le comte Orlok y est remarquablement épouvantable. Dans tous les sens du terme. J'ai beaucoup aimé ce nouveau design, créant une rupture avec le look des versions de Murnau et Herzog tout en conservant la même idée générale d'un être dégarni et émacié, restant aux antipodes des Dracula à la Lugosi, Lee, puis dans une moindre mesure Oldman lorsqu'il n'est pas transformé en immonde chauve souri humanoïde, bien que l'on en soit bien loin quand même.


Au revoir l'apathie (et l'appétit) lunaire de Kinski, le visage plein de talc et en peignoir noir : ici c'est un cadavre putride animé par un dessein dérangé et machiavélique, drapé de ses lourds apparats d'un temps révolu, faisant vaciller ses victimes dans une terreur abyssale par sa seule voix et son dialecte d'outre-tombe, sublimé par des méthodes et des manières plus que dérangeantes. Une fois encore, beaucoup pourraient trouver ça convenu, mais ce délire jusqu'au-boutiste m'a vraiment conquis. Inconsciemment appelé par un désir féminin lointain et saisissant instantanément l'opportunité de (re)faire le mal, cette version du comte est opposée à celle de Kinski, loin d'être une âme en peine et plus terre-à-terre, obstiné par une et une seule chose, et tenant à le faire "dans les règles". Un classicisme qui aurait pu me déplaire mais une fois devant les faits, j'ai adoré le parti pris.


Je pourrais davantage développer mais il se fait tard ! En résumé : classique, visuellement sublime, un casting solide, une nouvelle approche aussi morbide que captivante, intense.

Coup de coeur.

Chernobill
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le 30 janv. 2025

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Chernobill

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