Dans la liste des dix films préférés de Robert Eggers, entre 2001, Persona et Apocalypse now, on trouve Nosferatu le vampire de Friedrich Wilhelm Murnau, première adaptation non officielle du Dracula de Bram Stoker (les noms des personnages furent changés, mais l’histoire demeura parfaitement identique). Non officielle car la production ne put s’acquitter, à l’époque, des droits d’auteur. La veuve de Stoker, furieuse, intentera ainsi un procès pour plagiat, exigeant que les copies et négatifs du film soient détruits. On le sait : Eggers est un fan absolu du film de Murnau dont il a toujours, et ce dès le début de sa carrière, souhaité réaliser sa version après celle de Werner Herzog, en 1979, avec Isabelle Adjani et Klaus Kinski. C’est donc chose faite, dix ans après son premier long métrage, avec ce Nosferatu à la fois revisité et respecté avec déférence.
Ce qui ne veut pas forcément dire qu’il soit réussi. Au contraire. Ce serait plutôt version gros sabots (Eggers) contre version poétique (Murnau) et version plus introspective (Herzog). Un peu (beaucoup) comme Nolan voulant rendre hommage à 2001, l’un de ses films préférés (encore), pour, en réalité, réaliser un gros machin mystico-SF d’une lourdeur à toute épreuve (Interstellar donc) et à des années lumières de la sublimité du chef-d’œuvre de Kubrick. D’ailleurs Nosferatu souffre de ce que l’on pourrait appeler «nolanite aiguë» : inutilement long, et surtout trop d’effets sonores vrombissants et de musique assourdissante venant appuyer les actions et dicter les sensations, et ce quasiment à chaque scène dont il est impossible de savourer pleinement (sereinement) et les ambiances, et les beautés macabres.
Car s’il y a un point sur lequel le film sait briller, c’est son esthétique ultra travaillée. Eggers, son directeur artistique et son directeur de la photographie ont su créer une atmosphère envoûtante aux influences délicieusement gothiques (certaines images impressionnent) et dont la gamme chromatique semble vouloir explorer, magnifiquement, toutes les nuances de brun et d’orange, de gris et de bleu nuit. Quant au fond, rien n’a vraiment changé, en un peu plus de cent ans, dans ce récit d’une passion morbide qui voit une créature du royaume des morts s’éprendre, jusqu’à l’obsession, d’une jeune femme tourmentée par un désir contre-nature qu’elle ne saurait définir. Eggers en a, en revanche, accentué la charge érotique et bestiale, primale si l’on veut, en ne faisant plus de Nosferatu cette silhouette inquiétante, pâle et longiligne, qui a hanté nos cauchemars cinéphiliques, mais un être imposant et frustre qui reviendrait à ses origines, et plus précisément à Vlad III l’Empaleur qui, lui-même, inspira Stoker dans l’élaboration de Dracula, la boucle étant ainsi bouclée.
Il a également multiplié, mais sans que cela n’apporte grand-chose à la narration (qui, lors du dernier tiers du film, finira par s’enliser et par rabâcher), les scènes de possession démoniaque au cours desquelles les acteurs, et en particulier Lily-Rose Deep, se donnent avec un dévouement frôlant l’abnégation. On sera, par contre, plus circonspect quant à leur interprétation en général, pas toujours fameuse il faut l’avouer (n’est-ce pas Aaron Taylor-Johnson…). On l’attendait donc avec impatience, c’est vrai, cette relecture du mythe Nosferatu par Eggers. Mais son film dégage, au final, peu d’émotions, comme figées dans sa superbe, dans ses visions mi-exaltées mi-grotesques et ses effets tonitruants (on est loin de la belle austérité de The witch) qu’Eggers, visiblement, a fait passer avant tout autre chose. Tel Orlok, aveuglé par ses ardeurs, se faisant surprendre par l’aurore, Eggers, obnubilé par ses élans stylistiques, en a oublié ici quelque supplément d’âme.
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