Aprés The Witch, The Lighthouse et The Northman, Nosferatu est le dernier film de Robert Eggers et ce sera mon dernier film 2024 au cinéma. Très attendu et très controversé aussi pour ceux qui l'on déjà vu, Nosferatu reprend le fameux mythe du vampire popularisé par le roman Dracula de Bram Stoker publié en 1897. Il s'agit ici d'une adaptation non officielle, comme le fut à son époque le Nosferatu de Murnau en 1922, puis celui de Werner Herzog avec Klaus Kinski et Isabelle Adjani en 1979. C'est donc en quelque sorte le deuxième remake du Nosferatu originel, mais on pensera aussi au Dracula de Francis Ford Coppola qui avait pour ambition de coller au plus prés du roman. Ce n'est donc pas la première fois, loin de là, que le roman a été adapté sur grand écran de façon plus ou moins officielle.
Le cinéma de Robert Eggers s'inscrit parfaitement dans l'esprit du studio A24, une société de production indépendante new-yorkaise qui, année après année, cumule les succès critiques et publics. En s'attelant sur le remake de Nosferatu, il parvient à moderniser cette œuvre, tout en rendant hommage à l'atmosphère unique du cinéma expressionniste allemand. On peut aussi y déceler une forte influence de L'Exorciste de William Friedkin lors des scènes de possession. Mais c'est clair que, malgré tous ses excès (mais ça, on reviendra plus tard), ce film est un cri d'amour pour le Nosferatu de Murnau. On sent l'envie de respecter l'œuvre originale, tout en la modernisant (une direction esthétique singulière) ou en apportant sa petite touche personnelle (le comte Orlock et sa fameuse moustache). Robert Eggers trouve ici l'équilibre parfait entre un respect des origines expressionnistes allemandes de l'œuvre originale et une approche résolument moderne de l'épouvante.
Et pour donner vie à sa vision du mythe de Bram Stoker, Robert Eggers fait appel au talent de Bill Skarsgård dans le rôle du Comte Orlok, sachant que son frère Alexander Skarsgård à interpréter le rôle titre dans The Northman du même réalisateur. Mais le compte Orlock n'est pas vraiment le sujet principal du film, ou tout du moins on le verra peu à l'écran au final. Non, les deux personnages principaux sont incarnés par Nicholas Hoult et Lily-Rose Depp dans le rôle de sa bien aimée. Notons également la présence d'Aaron Taylor-Johnson et d'Emma Corrin et surtout de Willem Dafoe dans le rôle du professeur un peu fou dingue Von Franz. C'est la troisième collaboration entre Robert Eggers et Willem Dafoe son acteur fétiche, après The Lighthouse et The Northman.
Le récit colle au plus prés des deux Nosferatu précédents. Nous sommes donc à Londres durant le XIXe siècle et on va suivre Thomas Hutter (Nicholas Hoult) qui est envoyé en Transylvanie pour finaliser la transaction d'une demeure en ruine. Cette vente est pour le compte du comte Orlock (aka le comte Dracula) reclus dans son château. Il va donc partir plusieurs semaines et laisser derrière lui sa bien aimée Ellen (Lily-Rose Depp) qui se sent abandonnée. Celle-ci va être possédée à distance par le comte. Et pour combattre ce vampire qui va apporter avec lui la peste en Allemagne, Thomas va devoir s'associer avec le professeur des sciences occultes Von Franz (aka Van Helsing) et un médecin local le Dr. Wilhelm Sievers (Ralph Ineson). Il devra aussi compter sur son ami Friedrich Harding (Aaron Taylor-Johnson) un riche armateur bien plus sceptique que lui, ainsi que de son épouse Anna (Emma Corrin). On voyage donc ici entre croyance et scepticisme.
Le film dure plus de deux heures, mais ça ne raconte pas forcément plus de choses que l'œuvre originale d'une durée d'à peine plus d'une heure trente. L'intrigue est la même, mais la mise en scène est étirée. Le réalisateur prend le temps d'installer une ambiance particulièrement lugubre ici. Résultat, ce Nosferatu est très soigné sur le plan visuel et au niveau de la direction artistique, mais alors qu'est-ce que c'est froid et austère. Le film est vraiment étouffant, à l'image du personnage d'Ellen qui tombe dans la folie psychologique. En fait, la technique prend le pas sur le développement des personnages et sur les émotions. C'est sur-esthétisé pour ménager les effets (les jump scares), mais ça veut aussi rendre hommage au Nosferatu original. On a par exemple l'ombre de la main du comte qui ouvre la poignet de la porte ou qui s'étend au dessus de la ville de Londres, sans oublier tous ses jeux d'ombres, à l'image de celle de l'affiche du film qui est magnifique.
Bref, le Nosferatu de Robert Eggers a autant de qualités que de défauts, beaucoup de qualités au niveau de la forme et pas mal de défauts au niveau du fond. Le film est une succession de tableaux, à chaque plans c'est magnifique ... même si certains vont clairement lui reprocher d'être un film poseur. Sur le fond, Ellen est clairement le personnage le plus mis en avant ici, avec des scènes de possession assez spectaculaires. A certains moment, on se croirait même être dans L'Exorciste, ce qui me pose un peu problème. Personnellement, je trouve que ça casse l'ambiance et que le compte Orlock est de ce fait trop mis au second plan. J'aurais aimé que le film place plus le focus sur le comte, ou alors il aurait fallu appeler ce film Ellen et non Nosferatu. Mais de toute façon, tous les personnages ne sont pas assez développés et de ce fait on ne s'attache à aucun d'entre-deux, si ce n'est peut-être Thomas avec une interprétation impeccable de Nicholas Hoult.
Attention, ne croyez pas que je n'ai pas apprécié ce Nosferatu, au contraire. C'est juste que c'est un film qui divise beaucoup et du coup moi aussi je ne sais plus trop quoi en penser. Toujours est-il que même plusieurs jours après l'avoir vu, j'y repense encore, preuve que c'est un film qui ne laisse pas indifférent. Il me restera tous ces plans magnifiques, jusqu'au plan final d'une splendeur époustouflante. Par contre, je ne me suis pas senti autant investi dans l'histoire que dans le Dracula de Coppola (que j'adore), qui est un film plus prenant, plus chaleureux, plus romantique et flamboyant (dans tous les sens du terme) que ce Nosferatu 2024, qui est plus mortifère et crépusculaire, mais ça n'en reste pas moins un superbe cauchemar gothique.