Robert Eggers a brillamment réussi là où peu de réalisateurs auraient osé s’aventurer : ressusciter le genre du film de vampire, et plus particulièrement l’atmosphère gothique qui l’accompagne. Ce Nosferatu se révèle un bijou de relecture, parvenant à s’imprégner des codes du genre tout en offrant une vision unique et envoûtante. Si l’on devait résumer l'œuvre en quelques mots, on pourrait dire qu’elle est un hommage fidèle, presque respectueux, à une époque révolue du cinéma, tout en réussissant à insuffler une touche moderne.
Le film est quasiment sans défauts : il coche toutes les cases d’un excellent film gothique, abordant une thématique aussi sombre et effrayante. Eggers s’impose par son sens du détail, son jeu de clair-obscur audacieux et ses silences soigneusement placés qui intensifient la tension dramatique. L'atmosphère lugubre du film est magnifiquement portée par un travail minutieux sur les décors : chaque recoin, chaque pièce semble avoir été conçue pour enfermer les spectateurs dans une sensation de claustrophobie. Les costumes, en particulier les prothèses de Bill Skarsgård, ajoutent une dimension réaliste et crue à l’histoire, une touche d'horreur palpable.En ce qui concerne le casting, il est tout simplement irréprochable. L’interprétation de Bill Skarsgård dans le rôle du comte Orlok est magistrale. Sa présence à l’écran est indéniable, mais on ne peut s’empêcher de regretter que ses prothèses, si impressionnantes soient-elles, floutent parfois son visage, l’empêchant de pleinement incarner cette créature mythologique. De plus, sa moustache grotesque semble une fausse note dans une performance autrement impeccable, estompant quelque peu l’aura menaçante du personnage, que le réalisateur cherchait pourtant à maintenir.Lily-Rose Depp, quant à elle, offre une prestation bouleversante dans le rôle d’Ellen. Sa performance, à la fois délicate et puissante, donne toute la sincérité que le film demande. Il est rare qu’une actrice parvienne à transcender les effets spéciaux et la CGI, mais ici, elle y parvient sans effort, notamment dans les scènes de possession et de somnambulisme où son jeu pur, sans artifices, remplace efficacement toute illusion numérique.Les personnages, tout comme l’atmosphère, sont construits avec soin. Ellen, plus qu’une simple héroïne, devient un véritable pivot dramatique, un reflet des tragédies humaines qui se jouent dans l'ombre. Eggers étoffe intelligemment ce personnage pour lui donner plus de profondeur, lui offrant un rôle central et inattendu dans la lutte contre les forces obscures. Par son regard féminin, elle incarne à la fois la vulnérabilité et la puissance, et son destin devient une métaphore poignante de la lutte pour être entendue, une lutte que beaucoup de femmes connaissent encore aujourd’hui. L’héroïne devient l’élément salvateur du film, une figure qui se débat dans un monde d’hommes et de monstres, mais qui finit par renverser les rapports de force à son avantage. Cependant, si le film séduit par sa mise en scène et son atmosphère, il souffre de quelques longueurs. Le climax finalarrive presque trop brutalement, après une lente montée en tension.
Cette accélération soudaine de l'intrigue laisse un goût d'inachevé. L'histoire, qui aurait pu approfondir la relation complexe entre l'antagoniste et l'héroïne, ne parvient pas à aller au-delà du superficiel. Le lien entre les deux personnages principaux manque de "mordant", ce qui fait que leur interaction semble plus symbolique qu’émotionnellement forte. Une exploration plus poussée de leur relation aurait ajouté de la profondeur à l’histoire, mais le film reste parfois trop esthétique et trop centré sur sa forme au détriment du fond. Ainsi, malgré toutes ses qualités, on reste sur notre faim : ce film qui semblait devoir combler les vides de la version originale ne remplit pas entièrement sa mission et l’on ressort de la salle avec le même sentiment qu’en visionnant celui de 1922.