Je dois le confesser.. ma rétrospective a été freinée par une certaine flemme : la perspective de devoir me coltiner l'entièreté des suites au film de Fisher m'a hélas découragé.
Qu'à cela ne tienne, après avoir longuement hésité j'ai choisi de skipper tout ça afin de privilégier les cinq adaptations du mythe de Dracula que j'estime majeures.
C'est même plus intéressant de constater l'évolution dudit mythe de la sorte, puisque chacune de ces adaptations sont relativement bien espacées dans le temps (9 années séparent celui de Murnau et celui de Browning, 27 années le sien de celui de Fisher, 21 années le sien de celui de Herzog, et 13 ans le sien de celui de Coppola - 32 années sépareront ce dernier de celui d'Eggers).
Deux décennies après la dernière grande adaptation du roman de Stoker, c'est le film de Murnau qui intéresse plus particulièrement Herzog, réalisateur chevronné dont je ne connais hélas pas grand chose si ce n'est ce qu'en ont raconté certains youtubeurs comme le Fossoyeur de Films en ma qualité d'indécrottable faquin. Sorti en 1979, il avait été très bien accueilli, salué pour sa capacité à ne pas être une simple redite du classique de Murnau.
Après l'avoir enfin vu, je trouve que c'était effectivement une proposition très intéressante, même si pas toujours à mon goût.
En dehors de Kinski qui parvient à captiver notre attention en jouant une partition inspirant autant le malaise que l'inquiétude, le reste du casting ne transpire pas grand chose de bien satisfaisant, allant du ridicule embarrassant de l'interprète de Renfield à la soupe à la morphine d'Isabelle Adjani.
La musique m'a tantôt plue, tantôt non. Voilà.
Le rythme est lui aussi un peu spécial, il faut apprécier.
Mon souci principal réside dans les dialogues qui ne sont vraiment mais alors vraiment pas flamboyants. On se surprend même à redécouvrir leur pauvreté entre deux séquences bien plus immersives, souvent dénuées de ces derniers.
Ça me permet toutefois d'embrayer sur les qualités du film, plus nombreuses et qui rendent cette séance loin d'être désagréable.
Car oui derrière ces quelques freins, le film propose une jolie réactualisation de l'adaptation de Murnau, lui rendant parfois frontalement hommage en recréant des plans qui frôlent l'exercice de la copie, si ça n'était pas honoré grâce à une mise en scène soignée et une belle utilisation de la lumière sur les couleurs - d'autant qu'avec la version que j'ai eue il y avait un grain qui donnait un ton très agréablement atmosphérique à l'ensemble, presque onirique, en plus de s'inspirer des adaptations antérieures.
Le comte est ici aux antipodes du Dracula de 1958. C'est d'ailleurs un des éléments qui entérinent une vraie distinction entre le personnage qu'est "Nosferatu/Orlok" et celui qu'est "Dracula", quand bien même il porte dans cette adaptation de 79 le sobriquet du roman éponyme, depuis tombé dans le domaine public - il faut garder à l'esprit que c'est surtout un hommage au film de Murnau avant d'être une nouvelle adaptation du roman. Il en va donc de même pour l'histoire, les thèmes, le cadre, les personnages (dans leur essence mais pas leurs noms donc).
Si Dracula est capable d'être charmant et charmeur, Nosferatu est quant à lui un homme dont on devine une frustration malsaine et compulsive permanente avec laquelle il bataille, ce dès sa première apparition. Ça se répercute dans son allure, sa gestuelle, ses mimiques et j'en passe. Kinski parvient à s'approprier la performance et l'apparence de Max Schreck et apporte un soupçon de pathétique qui rend cette version plus humaine, tragique même. C'est un être condamné à l'immortalité qui, dans une pulsion satisfaisant enfin son éternelle insatiabilité, choisit, au détriment de la raison, de succomber au prolongement de ce plaisir charnel - le condamnant à sa perte.
On peut sommairement y voir une approche plus romantique de la version de Murnau (ce qu'il perd sur le plan horrifique), avec des échos thématiques déjà aperçus dans la version de Fisher, néanmoins sous un autre angle d'attaque. Par cette apparence, les parallèles sur la sexualité deviennent plus flous, mystiques.
Après tout, comment ne pas tomber sous le charme hypnotique de Dracula quand il a la prestance de Christopher Lee puis de se laisser emporter dans un désir compulsif propice à choquer les familles dans les chaumières en 1958 à l'aide de scènes et thèmes suggestifs pour cette époque ?
Tout simplement en rappelant la nature hideuse du perso dans l'approche de Murnau, physiquement, mais mentalement également. De remettre en exergue ce qu'il peut symboliser du Mal dans sa capacité à faire céder de la plus horrible des façons. Si l'on peut considérer que Dracula est un prédateur, alors Nosferatu serait plutôt un détraqué.
Malgré son allure repoussante, il est doté d'une présence, d'un pouvoir qui lui est unique, faisant passer ses victimes de la suspicion à la méfiance, au malaise, à la peur, la terreur, puis la transe, parfois sans dire un mot. Dans l'approche de Herzog, on peut lire une interprétation plus sombre et nébuleuse des pulsions sexuelles, différente du sentiment de transgression érotique qui émanait de la version de Fisher - la version de Murnau ne pouvait quant à elle pas se permettre d'aborder ce prisme donc la comparaison n'est pas équitable.
Ça se remarque aussi dans la façon dont la peste est dépeinte, notamment dans la scène majeure de cette partie de l'intrigue, visuellement et thématiquement jolie, avec toutes ces rangées de cortèges de cercueils au milieu d'une place bourgeoise, depuis vidée de ses habitants. D'ailleurs, si cette version de 1979 ne manque pas de créer sa propre atmosphère gothique, elle est moins surnaturelle dans son ensemble que celle de 1922.
Malgré des défauts qui n'ont pas facilité ma découverte, je reste content d'avoir vu cette version de Werner Herzog, c'était une proposition intéressante.