Classique du film fantastique, Nosferatu est pourtant un miraculé. En effet, Florence Stocker, veuve de Bram Stocker, auteur du roman original, ne se satisfit pas des libertés apportées au scénario par Henrik Galeen. Après un procès intenté à la société de production Prana Films, elle obtint en juillet 1925 la destruction des copies et négatifs du film en circulation… toutefois, en octobre 1925, elle patronna un festival de cinéma à Londres où le film était programmé ! Misère… et nouveau procès ! En 1929, la copie en question du film est expédiée aux États-Unis par la British Film Society pour y être détruite à son tour. Il faut attendre 1937, après la mort de Florence Stoker, pour qu’apparaissent des copies cachées (Allemagne, États-Unis, Angleterre) qui seront projetées en salles à partir de 1960. C’est en 1984 seulement que l’œuvre intégrale sera restaurée.C’est dire si Nosferatu a échappé au pire.
Quant au film, que dire sinon qu’il reste encore l’un des symboles les plus exaltant de l’expressionnisme allemand qui, avec F.W. Murnau, atteint un niveau de claustrophobie, de perfection formelle et de jeux d’ombres rarement égalé par la suite (sinon par Fritz Lang). Le jeu sur les teintes de pellicules accentue les sentiments portés à l’écran, la mise en scène est d’une inventivité sans faille. Surtout, l’une des grandes idées du film aura été de faire du personnage principal, non pas un Dracula romantico-d’opérette mais quelque chose d’innommable (littéralement « nesuferitu » en roumain), sans âge, pâle, rigide, le crâne chauve et déformé, tel un cadavre. Le fait qu’il puisse être terrassé par la lumière du jour était également une « grande » nouveauté par rapport au roman (où Dracula circule dans Londres de jour comme de nuit), ce qui vaudra une scène finale cultissime mais aussi, un curieux effet de transfert puisque tous les films de vampires reprendront cette nouvelle caractéristique par la suite. Max Schreck s’avère confondant de morbidité, mortifère, et à tel point symbolique que son patronyme sera repris phonétiquement pour le personnage de l’ogre Shrek du dessin animé Dreamworks et littéralement pour le personnage d’homme d’affaire corrompu interprété par Christopher Walken dans Batman Returns de Tim Burton.
Notons qu’en 1929, à l’occasion d’une ressortie parisienne du film, invisible depuis 1922, les surréalistes s’y rendent en « grande cérémonie ». Georges Sadoul déclara : « Pendant quelques semaines, nous nous sommes répété, comme une expression pure de la beauté convulsive, ce sous-titre français : Passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre. »