Après Le Miroir (1975), Nostalghia est probablement l’oeuvre la plus personnelle de Tarkovski. Réputé pour s’inspirer de sa propre vie pour alimenter ses films, il réalise ici un film pratiquement indissociable de son contexte et du reste de son oeuvre. Contraint de quitter l’URSS suite à son Stalker (1979), en désaccord avec les studios Mosfilm et le pouvoir en place, c’est en Italie que le cinéaste va trouver refuge, loin des siens, et de son pays adoré. Ainsi vint Nostalghia.
Il faut peu de temps au film pour imposer son rythme lent, décousu, son atmosphère froide et triste. L’intrigue, ici, n’est qu’un prétexte, qui se substitue à la réelle essence du film, qui transpire à travers les images et les personnages du film. Andrei, le héros, s’appelle comme le cinéaste qui le met en scène, et ce dernier le fait arpenter les terres italiennes, comme il l’avait fait pour donner naissance à son Nostalghia. L’Italie, terre de la Renaissance, des arts, patrimoine culturel immense et millénaire, pays chaud par son climat et sa culture, perd ici toute sa saveur. Murs gris, brouillard, pluie, humidité, tout est gris, froid, presque inquiétant. L’homme et le cinéaste, si loin de leur Russie natale, sont incapables de s’extirper de cette torpeur nostalgique qui les emprisonne et affadit le goût de la vie.
Nostalghia ne cherche pas simplement à nous faire voir la nostalgie d’Andrei, mais surtout à la partager et à nous la faire vivre et ressentir. Par ces jeux de lumière et de teintes, cet étirement d’un récit difficilement compréhensible, il s’agit de nous transmettre cette nostalgie et de lui donner une apparence. Loin sont les champs verdoyants du Miroir, de Solaris et même de Stalker, et loin sont les peintures colorées d’Andreï Roublev… Tout ce qui faisait la beauté de la Russie est resté en Russie, et tout ce qui en est extérieur n’a aucune saveur, et le fantôme du pays perdu plane au-dessus, comme un brouillard venant cacher les murs de villages pittoresques d’ordinaire si vivants. La solitude, l’errance et la lassitude sont les seuls compagnons d’Andrei dans cet éprouvant exil dont il comprend qu’il ne pourra jamais revenir.
Cette nostalgie se lit également dans les composantes du film. La femme forte mais incomprise rappelle celle d’Andrei dans Le Miroir. L’illuminé, le vieil homme considéré comme fou mais à la foi puissante, fait écho au personnage du Stalker dans le film du même nom. De même, Tarkovski fait de nouveau appel à ses « totems », avec la chaise posée devant une fenêtre, comme un invitation à regarder le monde extérieur, mais aussi l’arbre, le foyer, le chien, et surtout l’eau et la pluie, source de vie mais aussi de mélancolie, à la fois purifiante et salissante. Toute cette mécanique s’installe de nouveau, pour questionner, mais aussi protester. La divergence entre les langues, l’incompréhension, l’absence de foi de l’humanité, l’égoïsme, tous ces éléments, déjà partiellement présents dans les précédents films de Tarkovski, éclatent ici au grand jour et montrent à la fois la colère de Tarkovski envers ceux qui l’ont forcé à quitter son pays, et envers un monde morcelé où l’unité semble être devenue une utopie rêvée par quelques illuminés.
Nostalghia se regarde et se contemple comme un poème empreint de mélancolie, écrit par un homme au cœur brisé. Le rattachement aux racines, un des fils rouges de l’oeuvre de Tarkovski, se fait ici sentir plus que jamais, à travers cette longue lamentation pleine de souffrance, mais aussi de poésie. Marquant une rupture avec les précédentes œuvres du cinéaste, Nostalghia est également l’un de ses travaux les plus personnels, un cri du cœur, un chant pour un monde où il semble ne plus trouver sa place.