Etourdissant de beauté. Piavoli reprend à son compte les tribulations homériennes d'Ulysse de Troie à son retour à Ithaque. Mais c'est une adaptation libre et libérée de l'Odyssée que le cinéaste italien met ici en scène. Gageure chimérique que d'adapter une oeuvre millénaire et aussi dense à l'écran, tant elle préfigure et pose les jalons de toute la culture européenne.
Tout ceci n'intéresse que moyennement Franco Piavoli qui ne retient qu'une essence épurée et minimaliste de l'oeuvre grecque. Pourtant, le carton introductif laisse imaginer une adaptation fidèle puisque d'emblée, Piavoli prévient que les (rares) dialogues de son film sont inspirés du grec ancien et de langues méditerranéennes antiques. Un joli tour de passe passe pour Piavoli qui ne donne évidemment aucune traduction, aucun sous-titrage. Tout ceci n'est que prétexte : prétexte à perdre le spectateur dans un monde enchanté, dans une esthétique cristalline particulière.
Parce que de l'Odyssée, Piavoli gomme complètement le côté moral, didactique et épisodique. Son film n'est qu'une lente balade uniforme et continue, où la reprise homérienne ne se fait que par la suggestion : la guerre de Troie, filmée comme un confus et épais brouhaha de cris, de larmes, d'armes et de sang, une jolie femme nue qui rappelle Calypso, le tricot de Pénélope ...
Non, Piavoli ramène la quête de Ulysse à sa dimension la plus matérielle, la plus rêche : le seul apprentissage que le cinéaste italien met en scène, c'est celui des sens. Piavoli filme cet Odyssée tronqué comme une véritable communion spirituelle et organique : Ulysse n'y est jamais filmé autrement que comme un corps, comme un être de chair et de sang, un corps qui déambule dans une nature luxuriante et mystique, avec laquelle il s'agglomère pleinement. Du voyage initiatique, l'Odyssée devient entre les mains de Pavioli un voyage physique et sensoriel.
Pour cela, l'artiste joue systématiquement avec les échelles, les bouscule, les distend, capte un visage humain en gros plan pour aussitôt l'ancrer dans la terre par le biais du plan large, travaille ses ombres, varie ses perspectives ...
Le résultat, d'un esthétisme grandiose, est ahurissant, et à ce jour, probablement la plus belle adaptation d'Homère qu'il m'ait été donné de voir.