Jean-Jacques Annaud collectionne les défis : reconstitutions historiques, tournages avec des interactions animales jamais vues, difficultés des tournages délocalisés ou au coeur de la guerre... Rien ne semble lui faire peur.
Pas même l'épreuve du feu.
Il s'y frotte aujourd'hui avec Notre-Dame Brûle, en réaffirmant au passage son envie de cinéma, dans un film ramassé sur les quelques heures de son drame, de la sidération suscitée, du sentiment d'impuissance qui nous a saisi devant les images des chaînes d'info en continu.
Une oeuvre où les personnages principaux ne sont pas ceux que l'on croit, tous rejetés au second plan, parfois en forme de silhouette ou de tweet idiot. Car Jean-Jacques Annaud n'a d'yeux que pour ses deux acteurs : un monument traité comme une star internationale en train de mourir sous nos yeux incrédules, et un méchant aussi charmeur que destructeur, d'abord silencieux, avant de s'emparer du corps de sa victime et de la dévorer en virevoltant.
Un feu qui n'aura sans doute jamais été aussi photogénique, dont les flammes prennent vie et animant des coulées de plomb que l'on jurerait sorties de Terminator 2 : Le Jugement Dernier.
Une cathédrale qui meurt à petit feu en mode thriller, qui ne laissera pas grand répit au spectateur qui s'enfoncera dans son siège, avant un bref soulagement, pour mieux éprouver ensuite la tristesse et se sentir désemparé.
Jean-Jacques Annaud réussit à reproduire le choc que l'on a éprouvé en avril 2019, notre suspension d'incrédulité, notre peur de perdre à jamais une partie de notre patrimoine, voire de notre civilisation. A exalter le côté charnel de notre attachement à ce monument symbole de notre histoire.
Les péripéties entourant ce véritable drame apparaîtraient presque secondaires si elles ne relevaient d'un enchaînement implacable, d'un funeste alignement des planètes, ou encore de la sombre prophétie. Et si le plus international des réalisateurs français prévient que tout ce qui semble faux est vrai, il y a de quoi éprouver une forme de colère intérieure mêlée de tristesse et d'impuissance devant la latence dans cette guerre du feu.
Car ce qui a présidé à cet incendie, aux dégâts parfois irréversibles, relève tour à tour de la légèreté, de la bêtise, de l'inconséquence, du je-m'en-foutisme et de l'erreur de jugement au moins blâmable.
A l'égal, par exemple, de ces veaux de parigots qui s'arrêtent pour ne pas perdre une miette du spectacle et le livrer aux réseaux sociaux, créant des embouteillages emprisonnant les équipes de secours...
A l'égal, par exemple, de ces personnalités que l'on est obligé d'accueillir dans un PC fictif pour ne pas gêner l'action des soldats du feu...
De quoi se prendre la tête dans les mains, et se désoler avec le cinéaste. Car peut être avec moins d'embûches sur leur route, plus de soin dans la préservation du patrimoine, et avec un peu plus de gens concernés, l'incendie aurait pu être plus rapidement maîtrisé.
De quoi aussi, telle une faible lumière au bout du tunnel, reprendre foi en l'homme quand quelques volontaires, sur l'impulsion d'un simple sous-officier, se lancent dans une opération de la dernière chance. De quoi aussi admirer quelques soldats du feu dans leur implication, malgré un commandement peu courageux.
Ce mélange de foi et d'amertume imprime durablement la mémoire du spectateur, comme nombre d'images saisissantes et lourdes de sens offertes par la caméra de Jean-Jacques Annaud, capturant pour mieux restituer l'onde de choc du drame qui se déroule à nouveau sous nos yeux.
Behind_the_Mask, "... mais pardonne mon apparente lenteur"...