Entre le cinéma et le Pinault, il faut choisir…

Oui.
Oui, j’y suis allé.
Au fond je ne pouvais pas faire autrement.
Je devais y aller pour Jean-Jacques Annaud, forcément.
Quand on doit à un type des films tels que le Nom de la Rose, la Guerre du Feu ou l’Ours, on y réfléchit à deux fois avant de bouder une de ses sorties.
Mais bon, je voulais aussi y aller parce que j’étais l’air de rien assez attiré par la difficulté de cet exercice qui consiste à retracer un événement très fraichement survenu… (Ici l’incendie de Notre-Dame de Paris, lequel a eu lieu moins de trois ans avant la sortie de ce film.)
Et puis enfin, je voulais également y aller parce qu’étonnamment, les images de la bande-annonce m’avait intrigué, notamment de par leur qualité plastique plutôt convaincante au regard de la concurrence actuelle en termes de reconstitution numérique.
Bref, oui, j’y suis allé…
…Et ça a quand même été un brin douloureux.


Ça a été tout d’abord douloureux parce que dès les premières minutes – et comme le titre de la critique l’indique – on sent que ce Notre-Dame brûle ne sait pas sur quel pied danser.
D’un côté on nous sort les plans très carte-postale accompagnés d’une musique mièvre absolument infecte : de l’autre on commence à poser des éléments de critique à l’égard des multiples négligences dont a été victime le bâtiment.
L’ensemble est autant indigent que ses prétentions disparates sont balourdes.
Dès le départ Jean-Jacques Annaud démontre tout le problème qu’il y a à traiter d’un événement à peine survenu : on n’a pas de recul, on ne sait pas trop encore quoi en dire, on est tenté de surfer sur l’émotion suscitée par la catastrophe…
Bref, faute d’une véritable lucidité on tire sur les cordes les plus faciles et les plus grossières.


Ainsi frôle-t-on assez régulièrement l’indigent World Trade Center d’Oliver Stone : entre amorce mièvre où on présente le temps béni où tout le monde était heureux avant que la catastrophe ne survienne puis le désespoir face au chaos qui brusquement s’impose à nous, Jean-Jacques Annaud multiplie les moments ridicules.


…Le pompon était décroché avec cette histoire de gamine qui veut faire brûler son cierge et qui « sauve » finalement Notre-Dame…

…Mais à ce jeu-là, les champs religieux entonnés par tout une foule pour appeler le seigneur afin qu’il préserve la bâtisse se posent aussi bien là.


D’ailleurs, un peu comme le film de Stone, Notre-Dame brûle n’est jamais autant malaisant que lorsqu’il se risque à jouer des références religieuses. Et c’est franchement dommage que le film tombe aussi bas parce que tout n’est pas à jeter non plus dans ce long-métrage.


Parce qu’en effet, Jean-Jacques Annaud reste Jean-Jacques Annaud.
Il y a ici où là quelques (rares) plans sympas qui ont le mérite d’exister.


Je pense notamment à ce plan d’eau ruisselant sur les cloches. (Dommage d’ailleurs qu’Annaud en abuse.)
Même chose concernant les coulées de plomb ou bien encore les flammes tombant de l’oculus : des images qui font plutôt leur effet dans ce contexte catastrophique.


De même qu’on notera une habile réutilisation d’images d’archives de plutôt bonne facture, permettant ainsi d’éviter régulièrement de passer par la case de la reconstitution numérique dégueulasse.
Je dois même reconnaitre au bon Jean-Jacques que son recours assez rapide au split screen dans sa narration lui a permis après coup d’intégrer pas mal de vidéos filmées à la verticale au téléphone-portable sans que cela ne choque trop. Franchement pourquoi pas…


Seulement voilà, malgré ces quelques bonnes intuitions, force m’est de constater que ce film s’est écroulé bien plus vite que la flèche de Viollet-le-Duc tant l’ensemble fut dès le départ des plus bancals, partant dans toutes les directions sans tirer vraiment profit d’aucune d’entre elles.
Ici on fustige les négligences et là quelques traits agaçants du parisianisme commun, et cela au beau milieu d’un véritable clip de l’office du tourisme de la Ville de Paris.
Là on prend la peine de faire monter une tension en insistant à la fois sur le danger pour les pompiers tout comme sur le risque de perte patrimoniale, mais on fait ça entre deux « blagues » autour de chats perdus sur des toits ou de conservateur qui oublie le code d’ouverture d’un coffre.
Et puis enfin il y a d’un côté cette volonté de traiter avec sérieux le volet politique de la question, et de l’autre on désamorce totalement cette intention avec un traitement totalement niaiseux de la dimension religieuse du sujet.
Ce film joue trop de chevaux en même temps.
Il ne peut satisfaire à la fois les exigences artistiques de son auteur ainsi que celles de son producteur François Pinault qui aspirait certainement à magnifier sa bigoterie et son mécénat à travers ce film.


En ressort dès lors un film boiteux qui sonne faux une fois sur deux. Entre le cameo d’Anne Hidalgo dans son propre rôle et les encarts publicitaires sans filtre au service du bâtiment et de ses reliques, les occasions sont multiples de sortir d’une intrigue qui n’a jamais su tenir la seule voie qui au fond pouvait le sauver de la catastrophe : celui d’un film sec, factuel et distancié à la Vol 93 de Paul Greengrass.


Parce que oui, il est possible de faire du bon cinéma sur un événement d’actualité, le tout est de savoir dès le départ ce qu’on compte dire et montrer de cet événement.
Et puisque j’évoquais plus haut l’hécatombe que fut World Trade Center au sujet des attentats du 11 septembre, il me semble pour le moins pertinent de rappeler en parallèle la perspicacité qu’a eu de son côté le film de Paul Greengrass.
Pas de musique mélo ni d’allégories lourdingues dans le film de Greengrass. L’objectif n’était pas de surfer sur l’émotion mais bien de la reconstituer.
Comment reconstituer le choc du 11 septembre pour ce qu’il a été ? Eh bien tout simplement en s’en tenant aux faits, et en soulignant l’incrédulité de l’instant.
Les gens n’y croient pas et c’est aussi parce qu’en partie ils n'y croient pas que la réaction face à l’événement s’est faite désirée.
Il y avait dès lors moyen de faire de même avec Notre-Dame brûle. Virer les musiques. Suivre les événements. Montrer le simple enchainement de négligences. (Et je tiens à rappeler que pour le coup c’est vraiment rageant parce qu’Annaud a pris la peine de mobiliser le dernier point.)
En procédant ainsi, Annaud aurait pu montrer l’impréparation.
Impréparation de la sécurité interne du bâtiment. Impréparation des pompiers. Impréparation des politiques.
Annaud aurait d’ailleurs pu profiter de l’arrivée de Macron et Philippe au PC des pompiers pour souligner l’ambigüité de venir s’enquérir d’un patrimoine culturel quand en parallèle on a été l’instigateur des politiques qui ont pu rendre ce type de catastrophe possible.
Pour dire les choses autrement : Annaud aurait pu utiliser ce moment pour donner à voir au-delà de la simple carte-postale. Il aurait pu interroger la notion de patrimoine. Notre rapport au patrimoine. Mieux encore il aurait pu mettre en balance patrimoine et économie budgétaire / sauvetage de patrimoine et sauvetage de vies (et si possible autre chose qu’un petit chat à sa mémé perdu sur un toit.)


Mais malheureusement rien de tout ça donc.
Quelques tentatives certes mais beaucoup de balourdise au bout du compte.
A croire que dans cet ère de l’immédiateté c’est plus que Notre-Dame qui brûle.
Car face aux Pinault et autres mécènes dorés, même le talent d’un Annaud capitule.

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le 26 mars 2022

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