Une perle du film noir américain réalisée par Robert Wise en 1949. Du cinéma B, peut-être, car le film ne dure que 72 minutes. Mais, bon dieu, quelles 72 minutes ! Quand ça s'arrête, ça fait du bien à l'âme. Electrique, ce film tellement la tension et l'intensité sont au maxi.
Un film sur ce milieu de la boxe des petits matches plus ou moins truqués car pervertis par des paris et des parieurs. Et les places du public sont chères car il y a l'enjeu du fric certes mais il y a le goût du sang qui gicle, de la violence urbaine canalisée sur un ring où deux mecs s'étripent pour la plus grande joie du public. Enfin de certains : "tue le", "relève-toi, salaud", etc, etc
Au plus loin que va la mémoire humaine, on trouve de ces spectacles entre deux animaux, entre deux hommes, entre un homme et un animal. Et on trouve des spectateurs qui payent pour jouir de la douleur, de l'humiliation.
Wise ne se pose ni en moraliste ni en thuriféraire ni en critique. Il parle d'un couple de gens finalement sympathiques et certainement modestes, Julie et Bill "Stocker". Julie aime Bill et se désole de qu'il doive endurer pour gagner quelques malheureux dollars. Bill qui n'a plus ses vingt ans veut finir sur un gros coup. Il en a marre de devoir se coucher sur commande de ses managers qui "arrangent" le match. Finir sur un gros pour enfin voir venir. Le rêve américain, quoi !
La mise en scène de Wise est d'une grande efficacité. Les combats de boxe sont filmés en une série de plans qui se suivent avec une régularité de métronome : des plans larges où on voit le ring entièrement, des plans serrés sur les deux combattants féroces, des zooms sur certains spectateurs bavant de luxure (la femme extatique qui hurle à tue-tête "tue le", le goinfre qui bouffe sandwich après sandwich avec son œil allumé et lubrique, le manager qui voit se profiler la cata, …) ; mais la scène qui m'a le plus impressionné est la scène finale où Julie accourt alors que la caméra recule brusquement élargissant la vision au panneau lumineux "dream land". Le spectateur crie, en silence, les larmes aux yeux , contre ce sort qui s'acharne.
Le choix des acteurs : Robert Ryan est d'autant plus crédible qu'il fut lui-même boxeur et même champion universitaire de boxe ; le physique de Robert Ryan qui n'est pas spécialement celui d'un jeune premier mais au contraire d'un "monsieur tout le monde" dont le premier souci est de gagner sa croute et de pouvoir redresser la tête face à Julie. Ses frusques élimées. Son comportement dans le vestiaire avec le sourire d'encouragement pour le jeune qui se lance, son regard équivoque pour la grande gueule qui la ramène trop, etc Robert Ryan est vraiment l'homme de la situation …
Julie, c'est Audrey Totter : je ne connais pas mais c'est la petite actrice mignonne et discrète dont le personnage est celui d'un cœur en or, plein d'empathie. Elle a eu si peur le jour où Bill est rentré sans connaissance et qu'il lui a fallu x heures avant qu'il puisse la reconnaitre. Là elle a tellement peur de l'issue de ce combat qu'elle hésite mais finit par s'y rendre (car Bill compte sur elle pour assister à son triomphe) mais d'entendre les vociférations haineuses du public la fait reculer et va passer le temps du combat à se promener dans le quartier puis à mitonner un petit repas. Mais l'inquiétude est là, insidieuse, permanente.
Non, ce ne sont pas des acteurs glamour mais putain qu'ils sont beaux quand ils sont ensemble envers et contre tout pour reprendre, peut-être un nouveau départ. "Nous avons gagné ce soir" qu'ils disent ensemble, n'a pas le même sens au premier degré mais est sur le fond tellement puissant.
Il semble que ce film ait marqué plusieurs cinéastes dont Melville. Il fait dire à Jean-Paul Belmondo le titre de ce film à l'issue d'un combat au début de "l'ainé des Ferchaux".
J'aime énormément ce film qui est un véritable coup de poing dans la figure du spectateur qui reste à demi KO et en larmes dans le (confortable) fauteuil de son salon …