À travers le spectre de l’amour impossible, Maurice Pialat nous conte le voyage initiatique d’un couple sans cesse au bord de la rupture. Une fin suspendue que l’on regarde arriver, mais qui ne vient jamais parce que l’un est bipolaire et l’autre peut-être trop gentille. Jean (Jean Yanne) n’est pas seulement un cinéaste raté, c’est aussi un homme dur, souvent lâche et profondément amoureux de sa jeune maitresse qu’il fréquente depuis six ans, Catherine (Marlène Jobert). C’est en fait un homme marié à une femme qu’il ne peut quitter, avec qui il entretient des rapports corrects mais distants. Avec Catherine, les disputes éclatent de plus en plus régulièrement apportant avec elles leurs lots de phrases violentes et de comportements outranciers. Jour après jour leur relation va s’estomper jusqu’à l’instant où Jean découvre que Catherine est sur le point de se marier avec un autre homme. Jean, impuissant face à cette nouvelle, va alors s’accrocher, se regarder et apprendre à vivre sans elle.
Le souci d’authenticité de Pialat apporte une dimension démoniaque à cette histoire d’amour déchirante. Deux extrêmes qui se percutent sans faiblir, c’est l’image qui éclate en nous, amorçant inconsciemment la chute du spectateur dans ce maelstrom de médiocrité humaine. Puisque l’amour n’est pas fait que de bonnes choses, les comportements peuvent faire osciller la balance et percuter les conceptions jusqu’à l’effondrement. Si l’on peut sentir de la bravoure et du courage dans certains actes, on ne peut s’empêcher de personnifier la frustration et le sacrifice. Jean, jusqu’alors maître des rapports du couple, s’autodétruit, regardant s’envoler le bonheur de Catherine vers un autre que lui. Une volonté plus calme et paisible où Jean n’y a pas sa place. Mais Jean souffre, et ce n’est pas un sentiment habituel pour son organisme. L’asthénie complète le pousse à l’entêtement ;des parents au rendez-vous raté par sa frustration et sa violence verbale.
Pour incarner cet homme perdu et déchaîné, Jean Yanne est un choix judicieux. Pas présent lors de la présentation du film à Cannes pour cause de non entente avec Pialat et volonté de ne pas se déguiser en pingouin, Jean Yanne est un personnage particulier de la vie médiatique et cinématographique qui remporta pour ce film la Palme du Meilleur Acteur pour sa performance remarquable. À ses côtés la fragile Marlène Jobert, coincée au carrefour des sentiments et qui tente une dernière échappée, la bonne cette fois, laissant Jean, seul, en pleine ascension. Le spectacle présenté paraît parfois impitoyable mais laisse toujours à la vision du spectateur une issue grâce à cette fameuse bipolarité. Lorsque l’on apprend à détester Jean et prendre en pitié Catherine, on s’étonne de parfois l’excuser tant son désespoir est grand. Si le réalisme est à la racine de cette œuvre, elle se voit renforcer par son épuisement, son jusqu’auboutisme qui apporte une touche naturaliste et presque surréaliste à ce couple fonctionnant sur des images mentales, des perceptions tronquées de l’autre, des généralités communes à tous perçues par deux personnes détaillées et pourtant bien réelles.
Suite et fin sur le site Le Cinéma du Ghetto : https://lecinemadughetto.wordpress.com/2016/03/15/nous-ne-vieillirons-pas-ensemble-1972/