Vu une première fois il y a quelques années, j'avais apprécié la découverte, mais j'en étais resté essentiellement au premier niveau de lecture (l'histoire d'amour et d'amitié), et à cet égard j'avais été dérangé par l'aspect caricatural des personnages - en particulier celui joué par Stefano Satta Flores, dont les outrances verbales et comportementales (référence probable à la Commedia Dell'Arte) nuisaient à son authenticité.
En revoyant "C'eravamo tanto amati", j'ai mieux perçu cette fois son ampleur thématique (l'histoire politique de l'Italie en arrière-plan, la critique sociale, l'hommage au cinéma) et sa splendeur formelle. Le réalisateur Ettore Scola multiplie en effet les innovations en terme de mise en scène, dès la séquence d'ouverture qui semble bégayer, avant une première heure de film en noir et blanc, suivie d'une deuxième partie en couleur, et d'un retour ponctuel au monochrome sur la fin. Scola expérimente à de nombreuses reprises, entre effets de style inattendus, apartés théâtraux, jeu sur le montage, ellipses narratives et reconstitutions de scènes mythiques du cinéma transalpin, jalonnées de caméo prestigieux (Fellini, De Sica...).
Sur un scénario des inévitables Age et Scarpelli, on traverse ainsi trente ans d'histoire italienne contemporaine, en compagnie de trois amis ayant combattus le fascisme pendant la guerre, et qui vont successivement s'engueuler, se perdre de vue puis se retrouver au fil de leurs pérégrinations respectives.
Il faut souligner à cet égard la qualité du travail des équipes de maquillage, qui assurent un viellissement des héros parfaitement crédible, d'une authenticité troublante.
Nino Manfredi et Vittorio Gassman incarnent à la perfection ces deux archétypes - respectivement le militant communiste de base fidèle à ses convictions, et l'avocat de gauche ayant trahi ses idéaux de jeunesse à des fins de réussite personnelle.
Légèrement en retrait, le moins illustre Stefano Satta Flores interprète un intellectuel intégriste, capable d'abandonner femme et enfant au bénéfice de ses convictions marxistes.
La présence féminine est assurée par la belle Stefania Sandrelli, apprentie comédienne qui connaîtra une liaison plus ou moins brève avec chacun des trois héros.
Le seul bémol au niveau de l'interprétation réside dans cette funeste habitude du cinéma transalpin à l'époque, consistant à postsynchroniser les dialogues, créant ainsi un léger mais fâcheux décalage...
Quoi qu'il en soit, entre gags premier degré, références décalées et expérimentations formelles (l'inoubliable scène de la casse automobile...), Ettore Scola nous offre un chef d'œuvre inclassable de la comédie italienne, qui semble emprunter autant au surréalisme et à l'onirisme d'un Fellini qu'à la satire sociale d'un Dino Risi.