En illustrateur de l’histoire de la conscience américaine, ce John Ford misanthrope que fût Robert Altman, s’interroge ici sur la place de l’amour dans cette période fatidique des années 30 de la grande dépression. Narrant l’histoire une bluette naissante entre un jeune gangster débonnaire et un peu simplet magnifiquement interprété par un Keith Carradine qui se rapproche un peu du personnage de Jeff Bridges dans Le Canardeur de Cimino, et d’une jeune femme naïve incarnée par Shelley Duvall, l’une des égéries du cinéaste, Thieves Like Us, un titre ironiquement Altamien…, nous plonge dans l’ambiance de cette période de l’histoire américaine avec toujours ce souci de dissoudre sa narration dans un grand mixage entre réalisme figuratif et torsion des bonnes mœurs.
Chez Altman, il est un fait marquant absolument indéniable, c’est cette manière de construire ses scènes avec toujours ce souci de l’importance du cadre, tout y est souvent présent avec force et détails. La richesse des plans, tant visuelle, avec toujours cette manière unique de les faire vivre en y incluant des éléments qui font événements mais leur ajoutent toujours un intérêt qui les structurent et leur donnent corps. Le son, toujours à la limite de l’audible, avec souvent la présence d’éléments sous-jacents, ici la radio, qui viennent situer l’intrigue dans le temps, tout en entrant en discordance et parfois se chevauchant avec les événements de l’intrigue. La richesse toujours à la limite de la cacophonie du son Altmanien étant un élément absolument remarquable et unique propre à ce franc-tireur des bonnes mœurs et des évidences du politiquement correct, venant parasiter toutes les formes latentes du discours politique comme dans le génial Nashville, ou parasiter les événements de la voix médiatique d’une radio ronflante.
Adapté d’un roman d’Edward Anderson, auteur que Nicholas Ray avait adapté avec Les Amants de La Nuit, Thieves like Us est un portrait toujours nuancé, souvent corrosif, et jamais conformiste de quidams dont le destin semble scellé d’avance, dans une société dont l’évidente décadence induite par le fait de la récession économique génère violence et actes désespérés.
Magnifiquement interprété, avec cette science de la direction d’acteur d’Altman, ce réalisateur n’ayant pas son pareil pour illustrer l’innocence et la crédulité, mais aussi la cruauté et l’implacabilité dans cette peinture au vitriol de la société des bonnes mœurs, avec le couple Carradine/Duvall, mais avec également la présence de l’actrice Louise Fletcher, l’inoubliable matrone stricte du Vol au-dessus d’un nid de Coucous de Milos Forman, dans un rôle un peu similaire.
On peut rapprocher ce film du Bonnie & Clyde d’Arthur Penn, de par l’époque dans laquelle l’intrigue est située évidemment, ses formes et figures de style, mais également dans cette manière de dépeindre les mentalités et les bonnes mœurs de ce moment charnière de l’histoire des États-Unis, mais il s’agit d’une œuvre typique et absolument caractéristique de ce grand philanthrope désillusionné mais absolument lucide que fût Altman.