Alors qu'on craignait le pire, Nymphomaniac - Volume 2 s'avère beaucoup plus riche, profond et meurtri que sa première partie. À cela une raison : Joe prend enfin le pouvoir.
Habitée par son personnage, c'est d'abord Charlotte Gainsbourg qui prend les rênes du récit, pour le bénéfice de tous : du spectateur, de Joe, du film tout entier. Exit la nymphette Stacy Martin, aussi fadasse qu'inexpressive, tout juste bonne à remuer quelque vieux libidineux n'ayant toujours rien compris à Lolita. En marge Seligman et son assommante érudition, ses réponses à tout et sa fausse compréhension. Quand Joe lui balance que sa dernière digression est un peu faible, on comprend que la maîtrise du verbe a changé de camp. Joe assume, dénonce les mensonges, refuse tout sentimentalisme.
De fait, son parcours est un parcours de transgression. Rechercher le plaisir par la douleur, s'offrir à des nègres, n'être guidée que par une quête de plus en plus extrême, c'est s'inscrire en marge d'un ordre social à la morale castratrice. De pensum stérile et fantasmé [Volume 1], Nymphomanic devient film de chair et de sang, de plaisir enfin, de liberté aussi, même si l'horizon est bas, même si la méthode est vouée à l'échec, même si la solitude est terrible.
Alors qu'il n'était qu'élucubration intellectuelle, chattes à l'air et fessiers rebondis, le sexe fait enfin son apparition, animal et pas forcément cinégénique. Mais il est là, puisque c'est un peu le sujet. C'est l'incroyable scène avec les deux noirs qui se disputent, appétissantes bites en avant, les séances de fouettage, cliniques et glaçantes, pelvis en feu, les caresses rassurantes contre le corps si merveilleusement parfait de la jeune P. C'est aussi la rencontre avec L. [Willem Dafoe] et le glissement progressif de l'amoralité sexuelle à l'amoralité tout court. Puis Joe découvre en elle des sentiments contrastés, puis elle rencontre son arbre-âme dans une scène magnifique.
Le film n'est pas exempt, on s'en doute, de lourdeurs, balourdises et détails inutiles. On se demande pourquoi Lars Von Trier nous rejoue l'ouverture d'Antichrist, ou s'il est bien nécessaire qu'il nous serve au final un discours féministe façon "ce qu'il faut retenir"... Quant à la fin, que certains jugeront de trop, ou ratée, ou ce qu'on veut, elle est finalement fort logique, et a au moins le mérite de clore le récit de manière radicale.
Jamie Bell, Jean-Marc Barr et Mia Goth sont excellents, le reste du casting assume. Éteinte lors de la première partie, Charlotte Gainsbourg est ici le centre névralgique du récit. Comme à son habitude chez Lars Von Trier, elle se donne sans compter, s'offre corps et âme à Joe, ne recule devant rien, ose tout. Quelle actrice incroyable, quelle puissance d'abandon, quelle volonté ! À l'image de Joe avançant dans le couloir, tête haute, sûre d'elle, décidée à subir la froide violence de K., elle prouve une fois de plus qu'elle mène une carrière d'artiste, non d'actrice, artiste de corps et d'esprit, farouche, rebelle, déterminée.