Paul Schrader avait déjà adapté Russell Banks, il est donc en territoire connu. Il livre avec Oh Canada un film dépouillé, tourné rapidement et sans doute sans gros moyens. S'intéressant toujours à un personnage en quête de rédemption, il nous le décrit cette fois-ci par le prisme de la mort, une mort prochaine et annoncée, puisque Leonard Fife, le personnage principal joué par Richard Gere, a un cancer, et « pas de la bonne sorte .»
Le dispositif est une dernière interview donnée par le mourant, qui s'avère un réalisateur multiprimé de films documentaires. Il accepte pour dire la vérité sur lui à sa femme. Les réalisateurs, d'anciens élèves, en profitent pour filmer la fin de vie en dehors de toute déontologie, de manière tout à fait éhontée. Le récit est fait de flashbacks, où Leonard Fife tente de restituer ce qu'il considère comme la vérité, tandis que sa femme, préférant s'en tenir à ce qu'elle connaît de lui, freine tant qu'elle peut.
Je trouve assez difficile de juger Oh Canada. Plusieurs dispositifs sont mis en place : recours au noir et blanc ; actrices jouant deux rôles ; Richard Gere prenant la place de son alter ego plus jeune dans certaines scènes.
Le noir et blanc, je n'ai pas d'explication.
Les actrices jouant deux rôles, cela peut être une confusion de Leonard Fife dont la mémoire défaillante brouille la réalité, si bien que les femmes de sa vie se confondent.
Richard Gere vieux dans les scènes où il est censé être jeune, cela pourrait vouloir dire qu'il revit plus intensément ces scènes précises, ou au contraire que c'est lui, actuellement, qui s'imagine que cela s'est passé comme cela. Il semblerait donc que Schrader brouille les pistes, instillant du mystère là où on l'attend le moins : devant la caméra censée tout dévoiler, un voile se crée malgré tout.
Alors pourquoi ne pas y voir l'idée que la réalité ne peut être captée par une caméra ? A l'instar d'un jeune Leonard Fife fasciné par les couleurs d'épandage au point d'en faire un montage psychédélique, ce qui lui vaudra la renommée car en fait d'épandage, il a filmé des essais secrets de l'agent orange par l'armée américaine, et malgré la simplicité du dispositif, le couple de réalisateurs filment-ils ce qu'ils pensent filmer? Echappant à leur créateur, les films vivent leur propre vie. Autant "imprimer la légende" donc, puisque la vérité est si fuyante.