Comme je le pressentais à la lecture du livre de Bertina sur le combat des GM&S (Ceux qui trop supportent, paru deux ans après), le documentaire de Kowalski est plus abouti esthétiquement. Le dispositif est assez objectif : la voix off du réalisateur n'est vraiment pas étouffante, elle ne donne que quelques pistes de réflexions, les plans sur les gueules des GM&S durent. Certes, il y a des gros plans, notamment sur les armes des policiers, mais il s'agit avant tout de bien illustrer la violence exercée sur les travailleurs. La caméra est souvent posée en contre-plongée légère et filme de biais, de travers ou par derrière, de telle sorte que les GM&S apparaissent toujours en action. Qu'importe la valeur de plan, ils se déplacent, débattent avec leurs collègues, se présentent, vont au devant des policiers. Les types semblent se bouger le cul constamment, ils sont réactifs et déterminés, ils sont diserts et inventifs.
Le film leur donne donc de l'épaisseur simplement en les suivant. Les plans n'ont pas à être doublés d'un discours moral pour représenter la puissance de cette lutte. Passent dans le cadre des actions hautement respectables, mais aussi des sales tronches, des élocutions hasardeuses, des types qui se répètent. La caméra semble occulter moins de choses que les phrases de Bertina, qui semblait construire des hommes moralement surpuissants. Le docu produit aussi beaucoup d'admiration pour les GM&S, c'est évident, mais il produit aussi un peu de pitié, un peu d'agacement, peut-être même un peu de moquerie. Bref, il est plus riche dans sa saisine du réel que le bouquin.
On sortira du film de Kowalski beaucoup moins informés des manigances des différents repreneurs, de leur célérité à siphonner la trésorerie de l'entreprise et d'absorber les subventions publiques et de la connivence de l'Etat. Il est moins informatif que le livre de Bertina et on en sort moins indigné. C'est sûrement un effet de la rareté de la voix off, mais Kowalski apparaît moins documenté que Bertina. Son propos est moins systémique et donc moins puissant intellectuellement. Cependant, il semble mieux saisir la réalité de la lutte, de ses protagonistes, de ses pics d'intensité et des moments d'ennui. Il la rend aussi plus joviale, les cadres contiennent pas mal de trucs marrants et les petites lignes de guitare combattent bien la résignation.
Le documentaire propose une meilleure saisine du réel des GM&S mais produit un discours moins abouti sur les structures à l'oeuvre que le bouquin de Bertina. Les deux combinés proposent une expérience assez riche, notamment parce que le livre nous informe du décès d'un des syndicalistes les plus attachants, Yann Augras. La préfète, qui ruine son enterrement un an après les événements du film (narré dans Ceux qui trop supportent), apparaît deux fois plus impudente. Qu'est ce qu'elle est odieuse lorsqu'on l'entend bafouiller un parallèle complètement con entre des sous-traitants/PSA et un boulanger/ses clients ! On arrive à comprendre pourquoi Bertina a eu toutes les difficultés du monde à s'éloigner du registre de l'indignation.