Jim Jarmusch est un homme à part dans le cinéma américain des 30 dernières années. Il a commis des chefs-d’œuvre, subi comme peu les affres de la création, la page blanche, l'impossibilité d'arriver à écrire une histoire. Ça nous a valu des objets amusants comme Coffee and cigarettes ou Broken Flowers (qui est un petit peu plus qu'amusant, c'est un très bon film).
Puis vint Limits of control qui reçut un accueil mitigé, de mon point de vue, le film n'ayant pas été compris, ou plutôt senti, car le cinéma de Jarmusch s'enfonce toujours plus dans l'évocation et le sensoriel, sans tomber dans les délires à la Jan Kounen.
Et c'est ce qu'est Only lovers left alive : un film totalement sensoriel.
La photographie est vraiment superbe, le film est même rentré en très bonne place dans mon panthéon des meilleurs bobine sur la ville la nuit, mais pas uniquement. La photo donne une patine extraordinaire aux textures, on a l'impression de se trouver au cœur de l'histoire, pouvant presque respirer l'ambiance tamisée, et toucher les objets qui inondent la maison d'Adam.
Le choix des lieux est d'ailleurs également particulièrement heureux, entre Detroit (qui est définitivement à la mode depuis quelques années et sa décrépitude invraisemblable) et Tanger, l'atmosphère qui se dégage des rues si différentes empruntées par les personnages est tout bonnement magique.
Vient ensuite la présence de la musique, toujours essentielle chez Jarmusch, qui est une fois de plus d'une qualité remarquable, qu'elle soit le cœur de l'action où simplement en accompagnement de l'histoire. Elle colore le film et accompagne les personnages de manière subtile, et parfois devient le centre de l'attention, dans tout les cas on ne peut que constater une franche réussite.
Enfin vient l'histoire, pour le moins crépusculaire, des amants éternels, Adam et Eve, accompagnés de Kit Marlowe, de la soeur d'Eve et de quelques zombies (les humains), bétail sans intérêt en dehors de quelques cas particuliers, des goules au service (conscient ou pas) du couple navigant eux aussi dans une pénombre persistante, quand Adam et Eve tournant en permanence autour d'un clair obscur illuminent le monde de leur présence, même si il s'avère parfois qu'il s'agit d'une lumière noire.
La manière qu'à le réalisateur de distiller le surnaturel apporte encore de l'étrangeté à ce monde sur le déclin, sans oublier l'ironie qui perce parfois (souvent) des dialogues. Une vraie ode au romantisme suicidaire d'Adam, et à la volonté farouche d'Eve d'avancer quoi qu'il arrive, tant que son amour est préservé, seule chose qui l'importe avec ses livres, quand Adam n'est lui transporté que par sa musique.
Le presque dégoût qu'il peut ressentir à l'égard des humains et de leur faculté à gâcher les chances qui leur sont données étant par moment balayé par une fascination qu'il éprouve pour certains d'entre eux (la chanteuse de Tanger, les créateurs des guitares...).
Jarmusch, se lamentant sur la décrépitude des anges (des zombies ?) livre ainsi le plus beau film d'amour, et le plus beau film de vampires, depuis des lustres, sublimant son style pour apporter au monde un couple marquant navigant dans un monde crépusculaire merveilleux.