Il faut bien l'admettre, sur le papier, Only lovers left alive apparaît comme un projet très risqué suscitant une certaine inquiétude pour le spectateur. En effet, suite à la déferlante de films maltraitants le mythe du vampire ces dernières années, la méfiance est de rigueur.
Pour autant, Only lovers left alive est une véritable révélation !
Adam, vampire mélomane et profondément dépressif habite à Denver. Cette ville représente à elle seule la vision du développement industriel et culturel de notre civilisation selon Adam : les usines ont fermé, l'opéra s'est transformé en parking et Jack White n'y vit plus non plus (l'anecdote est véridique, ce dernier a installé sa maison de disque à Nashville, considérant que la scène garage rock de Denver n'était plus aussi dynamique) ! La dépression d'Adam donne lieu à l'éclosion d'un album considéré comme un chef d'œuvre par les autres personnages du film mais révèle également le profond mépris de celui-ci à l'égard des humains (qu'il qualifie de "zombies"). Adam est également doté d'une culture scientifique assez étendue. Il est donc en quelque sorte un pur produit de l'humanisme. Pour autant, la connaissance ne le rend pas heureux : seul l'amour pour Eve le pousse à rester en vie.
Eve vit à Tanger, sur le vieux continent et développe une vision plus optimiste de la civilisation. Ainsi, durant une visite nocturne de Denver aux côtés d'Adam, Eve indique que cette ville se développera de nouveau lorsque les cités du Sud manqueront d'eau. De la même façon, bien qu'approuvant les constatations d'Adam quant à l'incapacité des Hommes à anticiper leur fin, Eve indique qu'il convient d'adopter un regard contemplatif et observateur sur les phénomènes qui leurs sont soumis.
Dès lors, il s'agit bien d'un film contemplatif. De nombreux thèmes sont ainsi évoqués tels que le VIH, la corruption, l'épuisement des ressources naturelles ou encore le dérèglement climatique.
Adam et Eve jouent un rôle de protection de l'ordre établi. En effet, ces derniers ne subviennent à leurs besoins en sang seulement par le biais des hôpitaux et refusent ainsi de tuer les humains (parce que c'est so XVème siècle !). A l'inverse, Ava, petite sœur d'Eve, refuse de se soumettre à ces règles et est expulsée par Adam de sa demeure de Denver. Enfin, même en cas d'absolue nécessité, le couple se contente de "convertir" des amants mais refuse de les tuer.
Si l'ambiance romantique intemporelle du film est parfaitement retranscrite, c'est en grande partie en raison des décors soignés et un sens du détail particulièrement aiguisé de la part de Jim Jarmusch.
De la même façon, la variété des genres musicaux présents dans la bande originale du film est aussi grande que sa qualité.
Enfin, l'humour très particulier des protagonistes renforce le charme de ces derniers.
Par exemple, en passant devant la maison où Jack White a grandi à Denver, Eve indique apprécier l'œuvre du guitariste. Adam précise que ce dernier est le 7ème enfant de la famille. La référence christique ne s'arrête pas là puisque Jack White a d'abord voulu devenir prêtre avant de dédier sa vie à la musique. De la même façon, la réplique d'Adam à un dealer à Tanger ("Not what i need") est particulièrement inattendue (Adam souffre depuis des heures, ne tient plus debout, mais trouve quand même la force de se foutre de la gueule du dealer).
En résumé, Only lovers left alive est un trip. Tous comme les vampires prennent leur shoot de O négatif quotidien, le spectateur vit une expérience envoûtante.
Pour finir, les amateurs de guitares vintages apprécieront tout particulièrement la scène d'ouverture exposant en moins de trois minutes une Supro, une Hagstrom "cuvettes de toilettes", une Gibson et une Gretsch.