Entendons-nous bien, le procès Eichmann est un élément absolument capital du XXe siècle. Il n’était donc pas illégitime de tourner un film de fiction sur l’opération des services secrets qui a permis ce procès. Coté réflexions et ressorts dramatiques, la matière brute était là, c’est le moins que l’on puisse dire.
Malheureusement, c’est assez mal fichu. Mise en scène sans intérêt et sans prise de risques, montage trop lent, acteurs sous barbituriques ou qui cabotinent… Formellement c’est à côté de la plaque, et on aurait préféré voir Eric Rochant ou le Spielberg de Munich derrière la caméra.
La traque est bâclée, le huis-clos passe en grande partie à côté de son sujet (face-à-face entre le bourreau et ses victimes dont le rapport de force s’est inversé). Le film israélien La Dette exploite bien mieux une thématique semblable.
Enfin le parti pris des auteurs et l’interprétation à charge de Ben Kingsley évitent toute polémique, mais aussi tout sujet de débat. C’est bien parce qu’Eichmann était un fonctionnaire ordinaire qui « ne faisait qu’appliquer les ordres » avec un souci de l’efficacité très allemand, mais n’était pas nécessairement rongé par une haine antisémite pathologique comme un Hitler ou un Himmler que son procès en devenait d’autant plus important et hors norme. C’était le procès de monsieur-tout-le-monde, rouage de la machine à tuer nazie. Qui aurait pu être vous, qui aurait pu être moi. Ce qu’avait bien vu Hannah Arendt. Et Ben Gourion aussi, qui aurait souhaité demander des comptes à tous ceux qui avaient participé même de très loin au génocide. Ce n’est pas très agréable j’en conviens.
De fait, Hollywood a toujours été pris de panique devant ce concept de « l’effroyable banalité du mal ». Et donc, une fois de plus, décide de traiter le fonctionnaire nazi comme il l’a toujours fait : en le retranchant autant que possible de l’humanité, pour ne surtout pas avoir un quelconque rapport avec le diable en personne, qui ne saurait être humain. Il me semble que ce postulat peut tout-à-fait être tenu pour les décideurs nazis de la solution finale (Hitler, Himmler, Heydrich et Goebbels en particulier), mais que justement, le cas Eichmann se prêtait à une autre interprétation.
Quelques qualités tout de même, comme ce passage saisissant où un responsable du Mossad montre bien peu d’empressement à aller chercher l'architecte de la solution finale, jugeant que le présent et l’avenir d’Israël étaient bien plus importants que le passé. Il changera d’avis, comme le jeune Etat d’Israël assez réticent au début de son histoire à accorder à la Shoah la place qui lui revient dans l’histoire du peuple juif. Les deux premières générations d’Israéliens après 1948 ont – quelque part inconsciemment – été façonnées en contre-modèle du juif du ghetto qui s’était laissé massacrer : idéal sportif, valorisation des travaux agricoles, importance centrale de l’armée dans la société... Si ces idéaux sont toujours présents (place de l’armée en particulier), le procès Eichmann est véritablement le moment ou Israël intègre complètement la Shoah – et ses victimes – dans son récit national. Le film aurait pu insister un peu plus sur ce point, mais a au moins le mérite de ne pas l’avoir occulté.