Tout a déjà été dit, écrit et maintes fois répété au sujet d'Opération Peur, œuvre tout autant gothique qu'onirique signée par Mario Bava en 1966. Avec un budget nettement inférieur aux 50 000$ escomptés, la production n'arrivera pas à son terme, mais toute l'équipe, par affection pour le metteur en scène, décidera néanmoins d'achever le film sans être rémunérée. Bava lui-même ne touchera pas de salaire, acte de foi lui permettant ainsi d'offrir au public l'une de ses œuvres les plus abouties. Malgré de sacrées imperfections.
Bien qu'un maigre scénario de 30 pages eût été finalisé par Romano Migliorini et Roberto Natale, le cinéaste préféra largement improviser durant le tournage. Retravaillé par ses soins, le script se plie à une forme beaucoup plus fantasmagorique dans laquelle certains comédiens, Giacomo Rossi-Stuart et Erika Blanc en tête, ne sont pas forcément à l'aise. Avec un crucial manque d'argent, et conséquemment de temps, pour assurer des répétitions, Bava doit malheureusement faire face à des prestations souvent ampoulées de la part des principaux protagonistes. Heureusement que Fabienne Dali, parfaite en sorcière guérisseuse, et Giovanna Galletti, tout aussi parfaite en mère effondrée par le décès de sa fille de 7 ans, rehaussent indéniablement le niveau en incarnant de remarquables seconds rôles. Tout le reste, l'atmosphère, les décors, la lumière, le son et même la musique, appartiennent aux pertinentes décisions prises par Bava qui confèrent au métrage sa signature absolue.
Suite à l'étrange mort d'une jeune villageoise, le docteur Eswai se voit sollicité par l'inspecteur menant l'enquête afin qu'une autopsie soit pratiquée sur la défunte. Face à un extrême climat de superstitions régnant au sein du village, Eswai se voit secondé par une étrange sorcière qui va progressivement lui faire comprendre que la malédiction qui pèse sur chaque villageois est intimement liée au décès d'une fillette...
Opération Peur marque le retour de Mario Bava à l'épouvante gothique, après avoir réalisé Le Masque Du Démon et Le Corps Et le Fouet, deux chefs-d’œuvre qui ont révolutionné le genre. Financé par une petite société italienne, ce métrage-là se concentre essentiellement sur l'ingéniosité du réalisateur à mettre en scène ses élans de poésie morbide en abordant, pour la première fois dans l'Histoire du cinéma, une vengeance d'outre-tombe fomentée par un enfant. Plus spécifiquement par une fillette incarnée par un garçonnet, Valerio Valeri, fils du concierge d'alors de Bava. En effet, suite à un casting où défila plus de 200 petites filles, aucune d'elles ne séduisit le cinéaste qui préféra porter son choix sur un garçon au regard effrayant. Ce qui apporte d'autant plus une note d'étrangeté au personnage ainsi travesti en fillette. Par ailleurs, selon certains propos rapportés par Erika Blanc, le jeune Valerio n'était pas vraiment satisfait du rôle parce qu'il devait porter une robe et que Bava le dirigeait en l'appelant constamment "Valeria". L'actrice a également noté que sa collègue Fabienne Dali était tellement absorbée par son rôle de sorcière qu'elle lisait les cartes de tarot pour toute l'équipe du film.
Une ambiance bien particulière lors d'un tournage sans ressources où Bava utilisa des vieux "trucs" avec des panneaux en verre, parfois inventés par son propre père au temps du cinéma muet, et autres effets spéciaux artisanaux créés avec les moyens du bord. À l'exemple de certains plans spectraux de la petite Melissa qui exécutait ses actions à l'envers en conférant toujours plus d'étrangeté aux mouvements du personnage, préfigurant d'ailleurs certaines scènes de Twin Peaks réalisées par David Lynch. Tout comme cette fameuse scène où le docteur Eswai poursuit inlassablement son sosie dans la même pièce, tel que le fera bien plus tard le célèbre agent du FBI Dale Cooper, prisonnier dans la Black Lodge.
Avec son titre de film d'espionnage inspiré par Opération Tonnerre et imposé par les producteurs (le titre original du script étant Le Macabre Ore Della Paura, que l'on peut littéralement traduire par "les macabres heures de la peur"), Opération Peur reste un métrage souvent bancal mais indéniablement magnifié par son réalisateur. Il en résulte un vrai petit chef-d’œuvre visuel qui a inspiré bons nombres de cinéastes et qui s'érige désormais dans la liste des films cultes italiens. Grazie mille, Mario ! ^^