Je me demande bien, avec Oppenheimer, ce que pourront reprocher les irréductibles contempteurs de Christopher Nolan cette-fois-ci.
Car dans ce nouvel effort, pas de trace de pitch nébuleux. Ni d'imbitable tripatouillage du temps. Encore moins de concept fumeux envisagé comme un attrape-gogo ou le ralliement de faibles d'esprit constituant à l'évidence sa fan base.
Mais que reste-t-il alors de la patte immédiatement identifiable du réalisateur anglais ?
Il reste la peinture d'un homme aux couleurs de ses contradictions, de ses failles, de ses regrets et de ses peurs. Car Oppenheimer, finalement, est envisagé comme un opéra fataliste et lyrique de l'intériorité de son personnage éponyme. La peinture d'un Prométhée moderne qui donne le feu aux hommes pour mieux contempler ce qu'ils en font.
Pas le meilleur usage, bien sûr.
Il reste un biopic qui aurait presque oublié d'être un biopic, tant son ressenti est viscéral, qui réussit même à mettre en image l'esprit en surrégime assourdissant du physicien. Un film qui aurait oublié de convoquer une quelconque longueur dans ses trois heures de démonstration et qui réussit, dans le registre du thriller psychologique ou du film procédural, à convoquer l'esprit du formidable JFK d'Oliver Stone et à tenir son art du suspense parfois suffocant.
Il reste une œuvre qui porte un œil amer sur la façon dont l'Amérique remercie ses héros et plus particulièrement ceux qui leur apportent la fin de la guerre sur un plateau. La façon dont elle brûle ses idoles avant de les réhabiliter de manière hypocrite. De les compromettre dans de sombres machinations déployées seulement pour satisfaire de dérisoires visées politiques et des egos outragés qui le sont tout autant. A ce titre, Robert Downey Jr. renaît littéralement sous l'oeil de la caméra de Christopher Nolan, déployant tout le machiavélisme dont son personnage est capable.
Oppenheimer accompagne Oppenheimer tout au long de son périple, de manière captivante, passionnante, et impressionnante, tant il est irradié d'images scotchantes, oscillant entre intériorité, universalité, hallucinations et impressions de stress post-traumatique, jusqu'à cette explosion muette, aussi magique que terrifiante, mais surtout hypnotisante et hors du temps.
Mais Christopher Nolan y revient, finalement, à cette merveilleuse histoire de temps. En ancrant son nouveau film dans un passé farouche aux allures de fresque implacable qui continue pourtant d'affirmer ses déflagrations funèbres forgeant notre présent et notre futur.
Comme ces gouttes frappant la surface de l'eau et la déformant des ondes concentriques se propageant sans limites, qui auraient actionné un engrenage temporel invincible, un embrasement de l'atmosphère que plus personne ne saurait dorénavant contenir.
Pas le signe le plus évident de l'optimisme nolanien, en somme.
Behind_the_Mask, bombe humaine.