Oppenheimer. Ce simple patronyme évoque immédiatement celui qui orchestra la mise au point de la première bombe atomique. La concision est de mise pour ce titre. Ca l'est moins pour la narration qui s'étire en va-et-vient temporel comme les affectionne ce réalisateur.
Avec son dernier film en date, Christopher Nolan nous offre une fois encore sa virtuosité pour nous permettre l'immersion dans son univers. Il quitte la science-fiction, avec un Tenet que j'avais beaucoup apprécié, pour illustrer l'existence d'un génie de la physique quantique.
Le film débute de façon grandiose par l'évocation de Prométhée, titan qui offrit le feu aux hommes. Il changea tellement l'avenir de l'humanité avec ce don que les dieux le condamnèrent à être enchaîné à un rocher pour se faire dévorer quotidiennement le foie par un aigle. Les images rougeoyantes, l'évocations des atomes, le son (presque trop présent par moments) saturent les sens à l'entame de la séance.
Puis vient l'illustration de sa vie : génie manifeste, tant dans sa vision de l'infiniment petit que dans sa facilité d'apprentissage des langues, Oppenheimer semble souffrir de la solitude de celui qui voit au-delà des évidences. Sympathisant communiste, il devra endurer bien des avanies pour des idées qui sont suspectes en Amérique dès la fin de la guerre et deviendront hérétiques sous le Maccartisme. Son talent scientifique manifeste le destine néanmoins à diriger la projet Manhattan, ce qui fera de lui le père de l'arme atomique. Mais il y aura un prix à payer, la rançon de la gloire en somme.
La galerie de personnages est formidablement bien campée par une brochette d'acteurs qui incarnent réellement leurs rôles respectifs, à commencer par Cillian Murphy, époustouflant d'expressivité intérieure. Emily Blunt (quelle présence !) et Matt Damon ne sont pas en reste, tandis que Robert Downey Jr trouve un personnage qui lui sied parfaitement.
Tous ces gens s'agitent en un ballet d'électrons dont l'objectif est de concevoir l'arme ultime, celle qui mettra terme à la seconde guerre mondial d'un seul coup. Lorsque ce moment survient, il est un oxymore qui convient parfaitement ici : un silence assourdissant. Quelle intensité dans l'ampleur d'une déflagration inédite dans l'histoire de l'humanité ! Et quel saut dans le vide quantique pour des scientifiques qui ignoraient si le déclenchement d'un tel dispositif ne génèrerait pas une réaction en chaîne sur l'intégralité du globe !!
Un autre moment extrêmement fort survient dans l'acclamation, par nombre de travailleurs sur le projet, de l'illustre meneur. Le décalage entre l'exubérance débridée de ces américains, fiers de leur patrie conquérante, et la lucidité visionnaire d'un homme qui voit les cauchemars se profiler à l'horizon de la réalité est absolument sidérante.
Trois heures de projection plus tard, encore étourdi par une tension narrative qui ne laisse aucune place à l'ennui, je me suis laissé aller à la satisfaction d'un nouvel opus signé Christopher Nolan encore réussi. S'il n'atteint pas les sommets des Batman voire même l'époustouflant Interstellar, il se savoure avec jubilation tant le montage et les acteurs sont réussis.
A l'instar de Prométhée condamné par les dieux à une éternité de souffrance, Oppenheimer manque un peu de foi(e) dans l'usage que les hommes pourront faire de l'atome. N'était-ce pas la preuve de sa froide lucidité ? Les spectateurs jugeront.