« Allez, s’il te plaît ! Tu serais vachement sympa si tu m’enregistrais ce film, vraiment ! Bin ouais, t’es le seul que je connais au collège qui est abonné à Canal + ! Mais non, je vais pas demander à mes parents, déjà que le film est interdit aux moins de 16 ans ! Comment ça, t’as pas de VHS dispo ? Mais je t’en donnerai une ! Ah, t’en as peut-être une de dispo, faudrait savoir ! Bin oui, je sais, y’a très peu de diffusions la nuit, c’est comme ça sur Canal + avec ce type de films, malheureusement ! Bon alors, tu le feras ? Allez, s’te plait s’te plait s’te plait s’te plait s’te plait s’te plait s’te plait s’te plait s’te plait s’te plait !… »


C’est à peu près de cette manière (et encore, cela paraît, écrit comme ça, relativement calme) que je harcelais au collège un camarade, ayant la chance de posséder un abonnement à une chaîne cryptée aujourd’hui moribonde. En effet, cette dernière proposait alors encore comme offre principale une proposition cinématographique sans équivalent dans le Paysage Audiovisuel Français : films inédits, soirées thématiques, le Cinéma de Quartier de Jean-Pierre Dionnet (cf. la chronique sur L’Enfer des zombies) et bien d’autres choses encore… Et un beau soir de 1996, la chaîne proposait tout bonnement une soirée événementielle, consacrée aux « films cultes », avec en première partie de soirée, ce qui constituera mon deuxième choc dans la découverte de la filmographie de Stanley Kubrick…


Déjà, après le séisme visuel et sonore provoqué par la vision de 2001 : l’odyssée de l’espace, monumental œuvre qui a redéfini alors la science-fiction dans le 7ème Art, je savais que ma passion déjà dévorante pour le cinéma ne serait plus vraiment pareille, tant le long-métrage avait bouleversé tous mes acquis, redessiné tout mon paysage cinéphile. Cela fut de nouveau le cas ici, mais ce ne fut pas un simple séisme : ce fut dès les premières minutes une véritable gifle aller-retour, plus puissante encore que mes parents auraient pu me donner à l’époque, c’est vous dire…


Adapté d’un roman d’Anthony Burgess, Stanley Kubrick nous livre ici un nouveau chef d’oeuvre en puissance, et une nouvelle étape dans l’histoire du cinéma d’anticipation. Narrant l’histoire d’Alex, un jeune délinquant entouré de ses compagnons qu’il surnomme ses « droogies » (ses potes) qui, à la suite d’un homicide lui valant une condamnation à 14 ans de prison, se retrouve au centre d’un programme controversé de conditionnement psychologique, le long-métrage est une petite production, comparé à 2001, lancé par Kubrick à la suite de l’abandon de son grand projet de biopic de Napoléon Bonaparte. Le cinéaste nous livre ici un film important des années 1970, décrivant la société actuelle ou ce qu’elle pourrait devenir, et s’inscrivant dans un cinéma de plus en plus libéré sur la question de la violence à l’écran, aux côtés d’autres œuvres tels Les Chiens de Paille, Délivrance, ou encore Salo ou les 120 journées de Sodome et Massacre a la tronçonneuse.


Long-métrage sulfureux et controversé, le film n’en est pas moins teinté d’ironie et d’un humour très noir, manière d’adoucir son contenu très psychologique et violent ; cela s’exprime surtout par la narration en voix-off du personnage, nous narrant avec amusement son histoire. Décrivant son film comme « une satire sociale », Kubrick nous propose un long-métrage lyrique, virtuose par son montage et sa mise en scène, utilisant comme jamais de grandes œuvres de la musique classique, telle la Neuvième Symphonie de Beethoven, élément important de l’histoire.


Bref, une gifle aller-retour, littéralement, infligée par votre serviteur ; malgré la vision du film sur une VHS de sixième ou septième génération rendant l’image plus qu’approximative, les scènes cultes s’enchaînèrent : la scène d’introduction, la scène de bagarre, Malcolm McDowell dans le rôle de sa vie, le langage des « droogies » (un argot proche du russe), la virée en voiture filmée à la première personne, la Neuvième Symphonie de Beethoven, la Pie Voleuse de Rossini, la scène accélérée dans la chambre d’Alex, et puis la scène du viol, celle du meurtre homicide, les séances de la méthode Ludovico censée reconditionner notre « héros »… Autant de moments cultes, extraordinaires à la première vision, un véritable choc esthétique, mariage idéal entre image et musique caractéristique de l’oeuvre du cinéaste américain.


A signaler aussi, aspect rendant hypnotique et angoissant certaines séances du film, la musique du film, d’un aspect alors révolutionnaire : Kubrick, cherchant le moyen d’associer ses images à la musique de Beethoven au vu du culte que lui voue le protagoniste du film, découvrit le travail d’une compositrice, devenue célèbre pour son album « Switched On Bach », utilisant le synthétiseur modulaire Moog : Wendy Carlos ; cette dernière composa alors une musique aux sons étranges, futuristes, bizarres, qui deviendra célèbre et sera indissociable du long-métrage. A noter que Kubrick voulait auparavant utiliser l’album « Atom Heart Mother » du groupe de rock progressif Pink Floyd, mais le leader du groupe, Roger Waters, déclina l’offre.


Devenu un objet de culte au Royaume-Uni car censuré dans les salles de cinéma britanniques à la demande de son réalisateur (le film fut ré-autorisé en 1999, année de la mort du metteur en scène), le film relança l’éternel débat de la représentation de la violence au cinéma, plusieurs délinquants ayant alors déclaré s’être inspiré du film, une partie de la critique ne saisissant l’aspect parfois futuriste et surréaliste du film rendu par la mise en scène.


Aujourd’hui, bien sûr, le débat n’a plus cours : le film est largement considéré comme un chef-d’oeuvre de l’histoire du cinéma, disponible sur tous les supports existants, alors qu’il fut assez difficile à trouver dans mon adolescence avant son édition en VHS au mileu des années 1990. Votre serviteur peut alors revoir le film dans de bien meilleures conditions, et jouir de cette grande œuvre du cinéma des années 1970, célèbre également pour sa ré-utilisation de la chanson « Singin’ In The Rain ».


Chronique à retrouver sur Critique-Film :
http://www.critique-film.fr/back-to-the-past-21/

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le 26 nov. 2016

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David Huriot

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