Orange mécanique séduit tout autant qu'il choque dans une atmosphère grinçante où Kubrick dépeint une Angleterre futuriste et glauque, incapable de s’occuper de sa jeunesse décadente.
Alex (Malcom Macdowell) est adolescent et vit de ses passions, il traine avec ses « droogies », agresse, vole, viole le tout sur un majestueux fond de Beethoven.
De fait, il est assez vite emprisonné et sera le premier à être soumis au « traitement Ludovico » qui est une "solution" du gouvernement pour réprimer les pulsions violentes et sexuelles de cette jeunesse ultra débridée. Il s’agit en fait d’un lavage de cerveau, qui questionne les enjeux du monde contemporain.
Orange Mécanique est marquant par sa mise scène burlesque qui met à distance la violence de ses images. Dans le film, la musique, par ailleurs excellente, entre souvent en contraste avec les scènes d'hyper violence et tourne ainsi certaines situations au ridicule. Aussi, les décors et les costumes très kitsch et l’ambiance psychédélique rajoutent de l’absurdité et de l’étrangeté au film qui se teinte d'une dimension carnavalesque.
Aussi, le film dérange car il adopte un point de vue subjectif. En effet le spectateur vit le film à travers l’œil du protagoniste, d’où une vision théâtralisée et corrosive de la violence. Le protagoniste est à la fois ultraviolent, « fou » mais aussi libre et parfois sympathique. Kubrick fait ainsi irruption dans l’inconscient du spectateur en le mettant face à ses pulsions les plus inavouables. Ce dernier montre aussi leur répression par le gouvernement et c’est cette partie qui s’avère être la plus difficile à regarder car malgré tout, on s’identifie à Alex et au fond : on lui ressemble.
Ce long métrage lance donc un débat sur la liberté d’action et sur la violence institutionnelle, commise ici par un gouvernement qui entrave les libertés en voulant pacifier ses citoyens.
Kubrick souhaite présenter une société encore plus immorale que son protagoniste. Cette dernière est comme un miroir déformant de la nôtre, la montrant de façon cynique et terrifiante. Notre société forcerait donc l’individu à porter des valeurs morales, alors qu’un homme, lorsqu’il n’a plus sa liberté de choisir entre le bien et le mal perd son humanité. On retrouve ici le pessimisme de Kubrick, et la limite entre ce monde et l'anti-monde d'orange mécanique incarné par Alex est incroyablement poreuse ( notons que cette idée est ainsi reprise dans Eyes Wide Shut).
Contre toute attente, le film a plusieurs niveaux de lecture, se fait satire de notre société mais encore de l’humanité en général. En effet, Alex peut être considéré comme un homme à l’état de nature qui subirait ensuite un processus de civilisation, incarné par ce fameux "traitement Ludovico", qui plaque mécaniquement des valeurs morales contingentes à un être jusqu'ici vivant sous le prisme de l'assouvissement de ses désirs, par un mécanisme pulsionnel inquiétant et morbide.
L’humanité serait donc hypocrite selon Kubrick par rapport à sa condition première. Elle ferait le choix d’anéantir ses pulsions pour ne pas faire face à ce qu’elle est réellement, convoquant l'idée du faux semblant. Vivons nous dans un monde comme camisole, nous privant de nos instincts les plus naturels ? Ou sommes nous simplement des créatures parvenues ?
C'est sur ces questionnements que s'achève le chef d'oeuvre de Kubrick.
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