La filmographie de Stanley Kubrick a ceci de particulier qu'elle possède, tout au long de ses (12 ou) 13 films, une série de points communs qui rendent chaque oeuvre de son créateur a la fois unique et reconnaissable entre mille.
Cette "marque de fabrique" se définit par un impact visuel immense, une ambiance unique et des personnages extraordinaires.
L'aspect visuel est indéniable. L'utilisation du format quatre-tiers devenu totalement atypique et désuet au cours des années 60 est une des composantes forte de Kubrick. Allié à la qualité de la photographie, a un choix de couleurs et de textures dont on sait qu'il pouvait passer des mois à composer, ce choix artistique permet a chacun de ses films de marquer de manière indélébile l'inconscient collectif des générations de spectateurs qui se sont succédées. 2001 ? Le visage de Dave dans le scaphandre. Ou le monolithe. Shining ? Nicholson en furie. Barry Lyndon ? Le jeu de cartes aux chandelles, le duel... Orange mécanique ? Le personnage campé par Mcdowell, l'oeil soumis aux écarteurs... Dr Follamour ? Lolita ? Les sentiers de la gloire ? Kiss of death ? Full metal ? Eyes Wild shut ? TOUS les films de Kubrick ont une signature visuelle absolue. On l'a souvent dit, c'est sans aucun doute du au début de carrière de Photographe de Stanley.
L'ambiance est le résultat de nombreux éléments propre à chaque film, dont un des moins anodins est évidemment la musique. Malgré le choix, à partir de 2001, de Kubrick de toujours utiliser des musiques préexistantes, le contraste entre ce que l'on entend et ce que l'on voit est si frappant que ce n'est plus seulement la rétine qui reste impressionnée à vie mais bien l'esprit tout entier.
Les personnages, toujours proche puis au coeur de la rupture, sont à leur tour si forts que très vite il nous est impossible de les oublier. Hal900 (pourquoi Hal ? Parce que ce sont les lettres qui viennent juste après IBM), Franck Silverra, le colonel Dax, Spartacus, Prof Humbert, Dr Follamour, Barry Lyndon, Jack Torrance, etc etc... tous les films du maître tournent autour d'UN personnage ultra-présent.
Tous ces points sont bien entendus présent dans Orange Mécanique.
D'ailleurs, au chapitre ambiance, on peut se permettre de rajouter un autre élément fort en général chez Kubrick et encore plus particulièrement ici: le langage. Omniprésent dans Full métal (les discours interminables du sergent instructeur), dans Shining ou dans Barry Lyndon par exemple, c'est dans Orange mécanique que cet aspect est le plus fort, le langage propre aux droogies étant bien entendu un petit bijou, même si fortement atténué par rapport au livre de Burgess.
Orange Mécanique eut un impact énorme en son temps, et s'il a perdu de son aspect provocateur depuis 1971 il n'en garde pas moins un pouvoir de fascination intact. Aucun autre film ne lui ressemble avant et ne lui ressemblera jamais par la suite.
S'il a tenté plusieurs fois le film de genre (polar, guerre, science-fiction, historique, horreur) ses films n'ont jamais ressemblé aux autres. Il semble avoir voulu poussé le genre en question, quel qu'il soit, au bout de ce qu'il était possible de faire. Là encore, une des signatures de Kubrick: il semble ne s'être inspiré de personne en particulier dans son style, et n'a généré aucun descendant identifié. Comme s'il émanait d'une sphère unique et y était retourné par la suite sans que personne ne retrouve le chemin pour le rejoindre.
Film particulier aussi pour moi, puisque j'ai mis près de 25 ans avant de la voir, (hé, les jeunes je vous parle d'un temps avant l'existence du DVD, et ou on ne le trouvait pas en vidéoclub), les séances en ciné-club étant soit annulée soit pleine, soit se donnant un jour où je ne pouvais m'y rendre.
Mais force est de constater que l'attente, en ce qui me concerne, ne fut pas veine. Je me suis bien rattrapé depuis.
Un film qui donne envie de chanter sous la pluie.