Par moments j’ai ri. C’est vrai.
Et avec le recul je me rends compte que j’ai surtout ri quand le film était le plus grinçant, dérangeant, malmenant.
Je ne vais donc pas faire comme si ce film n’avait pas su parfois me plaire car c’est le cas, indéniablement.
Mais d’un autre côté tout tient aussi à ces deux mots par lesquels j’ai ouvert ce billet…
…A ce « par moments ».
Car alors que je repose ce verre d’Oranges sanguines sur la table, un constat s’impose : c’est acide c’est vrai, amère parfois, mais il y a autour de ces saveurs là trop de parasitages qui m’empêchent de vraiment profiter de l’aigreur.
C’était un peu comme si, dans le doute, le barmaid Meurisse avait décidé de rajouter du sucre et du Coca pour espérer faire passer la pilule…
…Or ce n’est pas comme ça que ça marche.
Parce que oui, ce serait clairement ça le reproche que j’aurais tendance à faire à cet Oranges sanguines : d’un côté ça veut jouer au Blier en osant aller un peu plus loin que les conventions généralement admises, mais de l’autre ça veut aussi se rassurer, se protéger, voire parfois même s’écouter un peu rigoler.
Et si d’un côté j’ai trouvé que certaines scènes fonctionnaient plutôt bien de par la petite frénésie transgressive qui semble les animer…
Je pense notamment au suicide de Laurence et Olivier – impeccable dans sa manière de gérer le contraste entre gravité de la situation et badineries presque guignolesques – mais je pense aussi et surtout à toute la scène d’agression de Louise qui parvient malicieusement à retourner l’approche qu’il offre au spectateur de la torture selon qu’elle soit perpétrée par le détraqué ou par Louise.
…Il n’empêche qu’à côté de ces scènes bien menées dans leur manière de jouer avec les codes et les limites, il y a aussi tout un ensemble plus plat, plus convenu – pour ne pas dire plus facile – qui ne se limite qu’à de la simple satire sociale éculée, pour ne pas dire qu'à du cabotinage un brin lourd.
Moi, par exemple, le débat d’intro qui s’étale en longueur et finit en en faisant des caisses, ça m’a clairement gavé. Même chose aussi pour le repas de famille. Même chose enfin pour tout ce qui tient à la satire faite autour du ministre qui – quand bien même ce dernier est-il habilement interprété par Christophe Paou – peine à sortir des conventions et des évidences.
Trop de scènes ne semblent là que pour rassurer ; voire pour se rassurer.
Ça coche un peu des cases. Ça veut donner des gages de conformité aux causes du moment mais sans parvenir à pleinement se justifier au regard des nécessités de l’intrigue.
Je pense notamment à toute la discussion cul entre filles qui – en fin de compte – ne sert à rien à part montrer des jeunes-filles parler librement de cul. Même chose pour tous ces moments où le ministre et son avocat parlent de leur manière d’étouffer leurs affaires ; ça reste de la critique bon tain.
Et c’est con parce que, sur ces deux aspects, le film est capable de démontrer que sa vraie force tient surtout dans les contrastes et les renversements de valeur ambigus qu’il sait parfois opérer plutôt que dans ses moments de satire évidente…
Par exemple je trouve très intéressant que le ministre passe en seulement dix minutes de prédateur sexuel en route pour une partie fine sûrement en présence de mineurs à un guet-apens tendu par un détraqué dont il va devenir la proie. Comme pour l’agression de Louise, le renversement brutal créé de la confusion. Le salaud devient victime. L’empathie et l’antipathie se percutent. Et en plus de ça le film glisse des blagues par-dessus qui rajoutent à la confusion. Au fond c’est le même genre de contraste qu’on connait quand Louise subit l’agression, puis devient agresseure, puis redevient victime quand celle risque de payer pour un geste qui – concrètement parlant est répréhensible – mais qui, dans le cadre de son enchainement, a pu être vécu comme un moment libérateur à la fois pour Louise comme pour le spectateur.
…
Ainsi, à ne pas savoir assumer jusqu’au bout une ligne claire, cet Oranges sanguines s’égare et se dilue. Un manque d’engagement qui, au fond, se ressent jusque dans la forme elle aussi très inégale mais surtout (et malheureusement) trop souvent quelconque et peu impactante.
Pourtant on sent bien les tentatives, qu’il s’agisse de split screens ou de travellings circulaires, mais à chaque fois l’effet est superflu. De trop…
…N’apportant aucune plus-value.
Dès lors, dans de telles conditions, seul le picorage m’est apparu comme une solution.
Prendre la très bonne interprétation de tous les acteurs et actrices mobilisés d’un côté, et laisser de l’autre côté les scènes plates et convenues. Prendre les quelques bons moments de transgression d’un côté et laisser de l’autre tous ceux qui aspirent au bon-genre…
Tout ça m’a conduit à davantage prendre ce spectacle comme un simple agrégat bien inégal de sketchs tarantinés à la sauce Blier plutôt que comme un vrai rouleau compresseur d’acide qui a su me faire sourire jaune…
…Et c’est franchement dommage.
Ainsi, entre le verre à moitié vide et le verre à moitié plein,
ce jus d’oranges sanguines aurait clairement mérité un meilleur tour de main…