Ordinary People [Spoilers]
On a placé de l'herbe sur la route pour qu'un cheval y demeure.
C'est un artifice bien visible mais quelle importance...
Un beau matin, la troisième Unité d'une caserne militaire quelconque est envoyée là bas, dans les herbes sèches bordées de constructions de béton, par 35° à l'ombre. L'endroit est désert. Dzoni, fraîchement recruté dans les rangs de l'armée, ne sait à quoi s'attendre, et ses questions restent sans réponse. Bientôt, un premier convoi de prisonniers arrive, l'Unité 3 doit passer à l'action. On donne les indications de mise à mort des prisonniers de guerre, à genoux et de dos.
Les exécutions sont froides, sommaires, face à un long bâtiment aux tuiles rouges. Dzoni refuse d'abord, reste en retrait de son groupe et finit par le rejoindre. Sous les yeux de son mentor, il tire à son tour sur ces cibles anonymes, observe leurs derniers tremblements et les auréoles d'urine qu'ils laissent parfois échapper. Il n'a - pense-t-il - pas le choix.
Ce qui intéresse Vladimir Perisic n'est pas la reconstitution historique fidèle. Bien que la totalité de l'intrigue se déroule en temps de guerre de Yougoslavie, jusque dans les campagnes les plus reculées, la situation filmée - une journée d'un peloton d'execution de prisonniers - aurait pu avoir lieu partout ailleurs. Aucun écusson sur les treillis militaires ne trahi leur appartenance à une armée nationale, aucun panneau sur la longue route ne situe l'action en un lieu précis. Seule la radio - ses informations, sa rubrique sport et son bulletin météo - délimite grossièrement le paysage.
Ordinary People est un film frappant en grande partie de par sa mise en scène et ses choix temporels. Le spectateur est confronté frontalement à l'attente du personnage principal sous un soleil de plomb pendant des heures, laquelle est entrecoupée d'executions expéditives de quelques secondes. Cette situations ressemblerait presque à un moyen de torture, un façon de mener les hommes à bout pour en obtenir le plus violent.
Le réalisateur considère lui-même sa réalisation comme une recherche scientifique en laboratoire*. La caméra - oeil du chercheur - séléctionne un individu quelconque et le place dans un milieu difficile pour y observer ses réactions. Elle suit chaque mouvements de son cobaye, chaque situation est répertoriée et classée par l'objectif, l'interprétation des résultats, enfin, relève du spectateur. Dzoni pensait agir sous la contrainte militaire, poussé par ce respect de l'ordre intimé par le mentor. Pourtant, ce dernier indique bien que nul ordre n'a été donné, et que tous ont agit logiquement à la situation.
La zone est déserte, sèche, sale. Le temps passe lentement, le Soleil semble être le seul à indiquer l'heure. Les fourmis reprennent leurs droits sur les rangers des soldat allongés dans l'herbe. Les ombres sont grises et ephémères, il faut sans cesse changer de posture pour rester au frais. Lorsqu'un convoi arrive, c'est presque une libération, de quoi se délier les jambes jusqu'au mur d'execution, et mettre entre parenthèses cette longue attente.
On a attiré les soldats en ces lieux et on les y a maintenus avec des bouteilles.
C'est un artifice bien visible mais quelle importance...
* "Rencontre : Vladimir Perisic, réalisateur d'Ordinary People", par Guillemette Odicino et Pierre Jabot, Telerama.fr