Pour aborder Orfeu Negro, il faut d'abord s'imprégner du fascinant mythe d'Orphée. Orphée, qui était fils d'un roi et d'une muse, était doué pour la musique et la poésie. Il charmait animaux et gens avec sa voix et sa cithare.
En particulier, il fut chargé de charmer et calmer les Ménades, femmes adoratrices du culte de Dionysos ainsi que les Sirènes lors de l'expédition des Argonautes pour protéger le bateau du chant des Sirènes. D'où l'image qu'on trouve dans Orphée de Cocteau et dans Orfeu Negro, d'un homme dont toutes les femmes tombent amoureuses (aujourd'hui on dirait "groupie" du chanteur…) alors que lui n'a qu'un seul amour…
Il se maria avec Eurydice, qui était une nymphe timide, qu'il perdit le jour même parce qu'il n'a pas pu la défendre contre un importun ni pu empêcher qu'elle ne soit mordue par un serpent. Et tout le monde sait qu'il descendit alors aux Enfers, charma Cerbère puis Hadès et Perséphone qui autorisèrent le retour d'Eurydice vers le monde des vivants sous condition de ne plus la voir. Ce qu'il ne saura pas respecter et qui provoquera la perte définitive d'Eurydice. Comme il reste inconsolable et qu'aucune femme ne peut se l'attacher, les Ménades, par dépit, le tuent de façon horrible.
Ainsi on voit comment se construit la transposition du mythe à l'époque moderne et comment sont traduits, de façon assez limpide, les différents points clés, que ce soit par Cocteau ou ici, par Marcel Camus.
Et Marcel Camus a choisi de transposer l'histoire un jour de Carnaval, à Rio, où les habitants des favelas, pauvres d'entre les pauvres, sont cet unique jour, les dieux ou les rois de la musique et de la danse et investissent les rues des beaux quartiers de Rio. On est bien dans les fêtes dionysiaques …
Le casting, à ma connaissance, constitué par des acteurs plus ou moins amateurs, donne une fraicheur au film réalisé il y a soixante ans qui passe les années. Aujourd'hui encore, je suis toujours émerveillé par le jeu, naturel, d'Orphée, Eurydice et surtout les 2 petits enfants qui accompagnent Orphée et qui croient que c'est la guitare d'Orphée qui fait lever le soleil… pour démarrer un nouveau jour.
La marche d'Orphée avec Eurydice dans ses bras et sa mort, provoquée par les Ménades en furie, sont d'une grande beauté et pleines d'émotion.
Un mot sur la musique : la samba (terme générique pour moi qui ne connait pas les nuances de la musique brésilienne) est omniprésente dans le film avec un rythme "endiablé", enivrant, obsédant au point que les gens (les femmes et les enfants surtout) ne peuvent marcher sans esquisser un pas de danse comme pouvaient sûrement être les chants lors des fêtes de Dionysos.
En guise de conclusion, j'ai toujours été fasciné par le mythe d'Orphée comme d'ailleurs par la plupart des histoires qui composent la mythologie grecque où les héros sont toujours marqués par le Destin. Je trouve toujours intéressantes les transpositions faites par les écrivains ou les cinéastes à une période dite récente. Et cela montre combien ces mythes sont intemporels et universels. D'ailleurs, s'ils ont traversé les âges jusqu'à aujourd'hui …