Où est Anne Frank ! était l’une de nos plus grosses attentes cannoises, et on s’apprêtait déjà à s’offusquer de la voir placée hors-compétition comme la plupart des films d’animation sélectionnés depuis toujours au Festival de Cannes. L’auteur de deux œuvres aussi belles que Valse avec Bachir et Le Congrès aurait mérité, en soi, une place dans la Compétition Officielle. Reste que, malheureusement, Ari Folman semble s’être un peu perdu dans cette adaptation du journal d’Anne Frank, autant dans la cérébralité de son dispositif que dans la naïveté de ses intentions. Retour donc sur l’une de nos plus grosses déceptions du Festival 2021…
D’Où est Anne Frank ! on ne savait pas grand-chose avant d’entrer dans la salle de projection cannoise, si ce n’est qu’il devait s’agir d’une adaptation du célèbre journal de la jeune victime du nazisme, déportée avec sa famille jusqu’ici cachée en 1944 et morte du typhus à Bergen-Belsen un an plus tard. La première surprise est de réaliser qu’il s’agit moins d’une adaptation littérale du texte qu’une confrontation de ce dernier avec le contemporain. L’histoire démarre dans le musée Anne Frank, devant une maison d’Amsterdam. Du livre original, s’échappera l’amie imaginaire à laquelle Anne s’adressait dans le journal, la belle Kitty. Échappée du livre dans un argument fantastique donc, cette dernière cherchera à retrouver sa créatrice et amie la plus chère, tandis que non loin de là, des réfugiés d’une toute autre condition historique, vivent dans des conditions de plus en plus insalubres. Elle se perdra dans un monde contemporain hostile, autant que dans des images du passé de plus en plus angoissantes.
Ce nouveau long-métrage s’articule donc autour de plusieurs programmes fictionnels et thématiques. D’abord, il fait se succéder les couches temporelles, puisque Kitty, dans sa recherche, sera ramenée dans le passé revoyant différentes étapes de la vie d’Ann, celles qu’elle évoque dans son journal, tandis que l’Europe sombre dans le nazisme. Kitty voyage donc entre passé et présent, et le film voyage entre ces deux pôles, tentant des rapprochements entre la situation politique actuelle et celle de la 2ème Guerre mondiale, notamment concernant le sort réservé aux réfugiés. La volonté pédagogique du récit est donc assez évidente, essayant d’encourager son public, les enfants en particulier, à non seulement s’émouvoir des victimes du passé mais aussi à lutter pour celles de notre présent. Honorer une mémoire n’a de sens pour Folman que si cela s’accompagne d’une action politique concrète au contemporain. Visiter l’ancienne maison d’Anne Frank a-t-il a sens si on détourne le regard devant des familles de réfugiés vivant dans la rue, expulsées de tous les pays ?
Il faut le dire, ces rapprochements historiques, s’ils se font avec une certaine frontalité, nous paraissent souvent très simplistes, pour ne pas dire mièvres. Le fait de s’adresser directement aux enfants – une première pour ce cinéaste finalement – ne l’obligeait pas à tant de naïveté, pour ne pas dire à une certaine niaiserie. On se retrouve vite perdu dans ce déluge de bons sentiments, qui ne sait plus véritablement montrer la dureté de son sujet, à quelques (très) belles scènes près, comme ce touchant moment où Kitty apprend la mort d’Anne. Si ce moment est particulièrement beau, c’est parce qu’il se raconte sans distance. Comme Kitty, peut-être que beaucoup d’enfants spectateurs du film découvriront, pour la première fois, la mort d’Anne, et ce sentiment est relativement fort. Hélas Où est Anne Frank ! manque cruellement de ces émotions-là, très directes et pures qui font la réussite souvent des meilleurs productions pour enfants. Son dernier mouvement, plus aventurier, où il s’agit pour Kitty de s’engager directement pour un camp de réfugiés, manque à mon avis cruellement d’émotions ne serait-ce que pour captiver un public jeune. C’est sans doute parce que ceux-ci se seront sans doute déjà un peu perdus en route, comme nous, Kitty, et peut-être Folman lui-même, lui qui se débat de plus en plus difficilement avec son dispositif trop élaboré, trop cérébral.
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